Jeanne d'Arc Vérités et légendes
à l’aise avec l’épisode Claude, qui
ne repose que sur des indices ténus. La dame des Armoises a une vie en
pointillé où alternent des épisodes relativement bien connus (1436, 1439-1440)
et des périodes où les sources manquent et où les reconstitutions sont
hypothétiques. L’historien, contrairement au mythographe, a horreur de l’hypothèse.
Des incertitudes
sur l’identité
L’identité médiévale, contrairement à la nôtre, appartient
au domaine de l’à-peu-près. Là où nous sommes inscrits sur un registre d’état
civil et figurons dans de multiples fichiers, là où nous sommes pourvus de
papiers, de photos, d’empreintes digitales ou même d’analyses ADN, le Moyen Âge
recourt tout simplement au témoignage de ceux qui vous entourent et vous
connaissent. Vous avouent-ils pour leur voisin ou leur parent ? Vous
l’êtes. Le procédé est parfaitement fiable lorsque le milieu est stable. Il
l’est moins lorsque quelqu’un vient de loin ou revient après une longue
absence. Il a vieilli, changé peut-être, comment en être sûr ?
La fin du Moyen Âge a connu un nombre ahurissant
d’imposteurs [53] ,
dans l’Empire, en Flandre, en Angleterre, plutôt moins en France qu’ailleurs.
Trente-cinq d’entre eux voulurent se faire reconnaître comme empereur ou roi.
Dans une époque de guerres et de conflits où la société est devenue mobile, il
est relativement facile de prétendre être tel prince disparu, tel seigneur
féodal mort sur un champ de bataille, voire tel gros paysan qui s’est absenté
et n’est jamais revenu.
Le procédé est à peu près toujours le même. Il faut d’abord
un temps de disparition suffisant pour provoquer l’incertitude dans les
mémoires : rarement moins de sept ans (chiffre symbolique) et jusqu’à une
trentaine. La mort doit avoir été inattendue et le cadavre introuvable. Durant
ces années d’absence, le disparu est à côté du monde (dormant sur une montagne,
caché dans un monastère ou la grotte d’un ermite). Il fait pénitence d’un péché
qu’en général nul ne connaît, jusqu’à ce que Dieu pardonne et décide de sa
réapparition. Celle-ci a toujours lieu dans un endroit périphérique peu
fréquenté, où se déroule la reconnaissance par la famille ou les anciens
compagnons. Ensuite, l’aventure de l’imposteur peut commencer.
Le profil de ceux qui tentent de se faire passer pour
quelqu’un d’autre est presque toujours le même : ce sont des hommes (il y
a peu de femmes imposteurs, parce qu’il y a peu de femmes de pouvoir qu’il
vaudrait la peine de remplacer !) de milieu urbain, des paysans aisés ou
des hommes d’armes. L’imposteur n’est jamais un marginal, même si son vrai nom
nous est rarement accessible.
Il tente l’aventure pour des raisons diverses :
l’imposture lui apportera, si elle réussit, des richesses, des honneurs, une
position sociale qu’il ambitionne et qu’il n’a pas. Mais il est possible aussi
qu’une personne ou un groupe le manœuvrent et cherchent à réaliser à travers
lui leurs objectifs propres. Enfin, certains souffrent de troubles de la
personnalité : dotés d’un besoin exacerbé de reconnaissance, ils ne savent
plus qui ils sont vraiment, lorsque le rôle a été joué pendant trop longtemps.
Pour réussir, une imposture a donc besoin d’une situation
favorable, d’un groupe qui la soutient et d’un acteur ou d’une actrice doués.
Il ne suffit pas d’une simple ressemblance physique, même si celle-ci est
nécessaire. Il faut être l’autre, prendre son nom, ses vêtements, sa façon de
parler et d’agir. Soit la formation est donnée, avant la première apparition,
par des proches de celui ou de celle qu’il s’agit de copier, soit l’imposteur
est doté d’un « coach », clerc ou laïc, qui lui fournit les réponses.
Jouent aussi son charisme personnel et ses capacités oratoires, utiles pour se
faire reconnaître de cercle en cercle. Les plus difficiles à abuser sont, en
principe, les princes eux-mêmes et la famille du disparu.
Prenons quelques exemples dans les mêmes régions et milieux.
Le 11 juillet 1302, l’armée de Philippe IV avait été écrasée à Courtrai et
les éperons d’or des chevaliers français massacrés par les milices flamandes
s’étaient retrouvés suspendus au mur de la grande église du lieu. Deux ans plus
tard, le roi l’emportait à Mons. Sur la frontière flamande, des châteaux
importants, tel
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