Joséphine, l'obsession de Napoléon
Corvisart.
Ce n’était une découverte que pour les autres ; elle savait depuis des années que son époux souffrait du petit mal {16} .
Les commentaires et reproches eussent été déplacés. L’épisode fut passé sous silence.
Tandis que l’hiver de 1803 avançait, des rumeurs délétères s’infiltrèrent de nouveau dans Paris. Leur danger résidait dans le fait qu’on n’en pouvait vérifier aucune, voire que l’on ne savait pas vraiment ce qui se tramait, sinon que les ennemis d’antan s’agitaient, les jacobins et les royalistes. Le pouvoir de Bonaparte était donc menacé. L’on craignit une répétition de l’attentat de la rue Saint-Nicaise.
Joséphine en fut informée par ses dames d’honneur, Fouché ne lui rapportant rien qui fût fiable, car lui-même était cité par les rumeurs. Mais on parlait aussi de Talleyrand, de Sieyès, voire de Lucien Bonaparte. Le Premier consul, lui, fut alerté par des articles de la presse anglaise.
Le 15 février 1804, le général Moreau fut arrêté. Murat, gouverneur de Paris, mit la ville quasiment en état de siège : cinquante brigands, déclara-t-il, s’y étaient cachés, préparant d’horribles attentats. Des patrouilles militaires sillonnèrent les rues, et les portes d’octroi furent fermées à 21 heures. La navigation fut interdite sur la Seine.
Le 29 février, ce fut au tour du général Pichegru d’être arrêté. Le 6 mars, trois émigrés venus de Londres, les frères Armand et Jules de Polignac et le marquis de Rivière étaient arrêtés. Les rumeurs se précisèrent : il s’agissait d’un complot royaliste. Trois jours plus tard, Georges Cadoudal, un chef des chouans, fut aussi arrêté. Il fanfaronna et fut bavard : oui, un complot était en cours et il réussirait ! Le Premier consul serait enlevé sur la route de Saint-Cloud à la Malmaison. S’il résistait ou s’il se défendait, il serait abattu. Un prince de la famille royale entrerait alors en France et rallierait tous les Français à la restauration de la royauté.
On en resta pantois. En tout cas, la preuve semblait faite qu’il y avait bien un complot et que les rumeurs n’étaient pas le produit d’imaginations enfiévrées. Personne ne prit en compte l’invraisemblance d’une collusion entre Moreau, républicain convaincu, et Cadoudal et Pichegru, monarchistes. Le seul indice en était la révélation d’une rencontre nocturne, faite par un misérable complice au nom prédestiné de Querelle, qui, pour échapper à la corde ou la guillotine, l’avait livrée à la police : un soir de janvier 1804, Cadoudal aurait rencontré Moreau boulevard de la Madeleine. La belle affaire ! Si tous les gens qui se rencontraient la nuit étaient coupables de complot, il eût fallu pendre la moitié de Paris. Personne n’évoqua non plus la possibilité que ce pût être Cadoudal lui-même qui avait l’imagination en feu et qu’il eût pris ses désirs de coup d’État pour des réalités.
Mais il fallait des coupables et on les tenait.
Restait à savoir qui était le prince de la famille royale qui entrerait en France ? Provence ? Artois ? Ou bien Louis de Bourbon-Condé, arrière-petit-fils du Grand Condé, duc d’Enghien, activiste notoire de la cause monarchique ? Et ce fut là qu’un véritable coup fut monté.
Ce prince habitait non loin de la frontière française : il résidait à Ettenheim, dans l’Électorat de Bade, territoire neutre, de l’autre côté du Rhin, en compagnie de sa compagne, Charlotte de Rohan-Rochefort. Qu’à cela ne tînt. Le 10 mars, Bonaparte monta sur ses grands chevaux et convoqua les deuxième et troisième consuls, Cambacérès et Lebrun, Talleyrand, ministre des Relations extérieures, Murat, gouverneur de Paris, Régnier, ministre de la Justice, et Fouché, pourtant simple sénateur. L’occasion était trop belle de semer la terreur dans l’esprit de ses ennemis ; il fallait sévir de façon exemplaire et démontrer que nul n’était à l’abri de la justice consulaire. Il fallait s’emparer du Bourbon d’Enghien et le traiter comme un vulgaire brigand pris les armes à la main. C’est-à-dire : l’enlever et le tuer.
Cambacérès blêmit ; il représenta au Premier consul les conséquences d’une telle action.
— Que dites-vous, monsieur, s’indigna Bonaparte, en colère. Sachez que je ne veux pas ménager ceux qui m’envoient des assassins.
Et il ajouta :
— Vous êtes devenu bien
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