Joséphine, l'obsession de Napoléon
grand-mère.
Novembre était déjà avancé, l’on pouvait compter les jours jusqu’au sacre, fixé au 2 décembre, Napoléon avait réglé le cérémonial du couronnement jusque dans le moindre détail, et Joséphine ignorait encore son rôle. Les manufactures tissaient en hâte les tentures et les tapis semés d’abeilles dorées, qui partageaient avec l’aigle le privilège d’être les emblèmes du nouveau régime, et elle ne savait pas quelle serait sa place. Une gigantesque maquette de la cathédrale de Notre-Dame avait été dressée aux Tuileries par le peintre Isabey, grand ordonnateur des cérémonies, et chacune des centaines d’effigies en carton représentant les invités portait le nom de chacun. L’Empereur y figurait aussi, évidemment, mais point l’impératrice.
Chaque jour pour Joséphine aggravait la perplexité du précédent. Sans parler des nuits.
Et si Napoléon saisissait l’occasion de son sacre pour la répudier et divorcer ? Et si c’était le clan qui avait saisi l’occasion pour convaincre Napoléon qu’étant stérile, Joséphine ne pouvait pas assurer sa descendance directe ? Il était déjà injurieux pour elle que son rôle n’eût pas été défini à quelque deux semaines du sacre.
Un incident pénible vint enflammer sa souffrance.
Les Murat avaient, quelques semaines auparavant, au retour du voyage impérial sur le Rhin, introduit à la cour une certaine Adèle Duchâtel ; à vingt ans, mariée à un homme de trente ans plus âgé, elle était fort séduisante ; Napoléon la fit nommer dame du palais. Joséphine comprit sur-le-champ que l’initiative en revenait à Caroline, décidée à exciter la lubricité de Napoléon, pour déclencher une scène conjugale entre lui et son épouse et donner le coup de boutoir qui expulserait pour toujours Joséphine de la sphère impériale. Murat semblait faire une cour assidue à cette créature, mais Joséphine n’en fut pas dupe. Son propre réseau de surveillance lui apprit rapidement que Napoléon sortait le soir avec Duroc pour rendre visite à Adèle Duchâtel à Villiers, dans la campagne des Murat. Napoléon avait d’ailleurs failli y écorner son prestige : le mari étant rentré une nuit à l’improviste, l’impérial Roméo avait dû fuir par la fenêtre, sa redingote sur le bras, et sauter par-dessus un mur pour éviter un esclandre.
La pécore espérait-elle se faire engrosser par l’Empereur et prendre la place de l’épouse légitime ? Joséphine entreprit de lui dessiller les yeux : un jour, sous couvert d’une conversation intime et plaisante, elle lui révéla que Napoléon n’était pas fertile et qu’il ne produisait « que de l’eau ». Elle ne se doutait pas que cette perfidie serait répétée à l’intéressé et qu’elle le mettrait en fureur. Le ragot le poursuivait depuis des années ; quand il n’était encore que Bonaparte, les soldats s’étonnaient de ce général qui n’avait pas d’enfants, et l’un d’eux s’était écrié :
— Ne vois-tu pas qu’il a les c… dans la tête ?
Nul n’a évidemment pu vérifier l’allégation, mais ses compagnons d’armes ont rapporté que Napoléon souffrait de douleurs aiguës lors de ses mictions, et que celles-ci s’aggravèrent avec les années. Certains auteurs ont évoqué une bilharziose contractée en Égypte, d’autres une infection vénérienne.
Le point a son importance autant que la stérilité de Joséphine. L’état physiologique des époux joua un rôle déterminant dans l’histoire impériale. Il est possible qu’il en ait également joué un dans l’histoire tout court.
Cependant Napoléon était décidément entiché de cette nouvelle conquête : il lui écrivait régulièrement (ces lettres, de même que bien d’autres, ne nous sont pas parvenues). Joséphine endurait cette situation avec une patience déclinante, et cela d’autant plus que Caroline, pour mieux la tourmenter et déclencher un scandale, la tenait informée des relations de son frère et de la Duchâtel ; elle lui avait ainsi appris que l’amoureux suprême avait envoyé à sa maîtresse un portrait de lui-même en médaillon, dans un cadre serti de diamants.
Descendant un soir au salon où la famille impériale était réunie avant de passer à table, Joséphine vit la Duchâtel s’esquiver. Elle entra au salon : Napoléon n’y était pas. Elle se rendit au cabinet contigu au bureau de son mari ; la porte en était
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