Joséphine, l'obsession de Napoléon
nécessairement l’harmonie, et le fracas des cuivres et des tambours n’étouffa pas les discordances dans le grand orchestre mondial que Napoléon entendait diriger.
Sur la scène politique, les conséquences d’Austerlitz n’étaient que trop visibles de l’Angleterre, de la Russie et de la Prusse, sans parler de la grande vaincue, l’Autriche elle-même. Par le traité de Presbourg, l’empereur d’Autriche, François II, n’avait pas seulement cédé Venise et la Dalmatie au royaume d’Italie, ainsi que le Tyrol, le Vorarlberg et Lindau au royaume de Bavière, mais il avait aussi consenti au démantèlement du Saint Empire romain germanique, qui assurait depuis des siècles la stabilité relative de l’Europe. Et Napoléon s’était fait concéder le titre de protecteur de la Confédération du Rhin. Associé aux trois mariages de proches dans les familles régnantes de Bade, du Wurtemberg et de Bavière, tout cela équivalait en quelque sorte à la création d’un Empire romain de l’Ouest sous l’égide napoléonienne.
Il avait même, à Vienne, envisagé de se faire couronner empereur d’Occident. Il n’y renonça que parce qu’il craignit d’affaiblir de la sorte le prestige de son titre d’empereur des Français.
Le plus alarmant était qu’enivré par ses succès, Napoléon semblait de plus en plus ne vouloir en faire qu’à sa guise. Ainsi, en dépit de ses accords avec la Prusse, qui gagnait le Hanovre en échange de la principauté de Clèves, il avait cédé ce duché à l’Angleterre.
Joséphine ne connaissait ces choses que par la tangente, une réflexion de-ci, une information de-là et, de toute façon, elle n’avait pas voix au chapitre politique ; elle n’était censée que se pâmer d’admiration devant les exploits militaires de son mari. Mais, depuis son retour à Paris, trois faits ne pouvaient lui échapper.
Le premier était que la population parisienne n’était, elle, guère grisée par les exploits de l’Empereur sur les champs de bataille. Deux ou trois confidences de Fouché, avec lequel elle restait en intelligence, lui apprirent que la situation financière du pays n’était pas bonne. Les banqueroutes se multipliaient et les gens faisaient le siège des banques pour y retirer leurs économies. Cela avait entraîné des troubles dans la rue auxquels la police avait dû remédier en usant de la manière forte.
Napoléon avait bien pu proclamer qu’« il n’y a plus qu’un parti en France », cela correspondait mal à la réalité de la nation, et même ceux qui se félicitaient de la création de grandes écoles telles que celle des Ponts et Chaussées déploraient qu’un citoyen ne pût plus s’exprimer publiquement sans encourir la surveillance de la police. En 1793, il existait en France cent cinquante-six journaux, il n’en restait désormais plus que quatre, soumis à la censure. C’est ainsi que les nouvelles du désastre de Trafalgar, au large de l’Espagne, restaient inconnues de la plupart des Français. Le jour même de la victoire d’Ulm, le 21 octobre, la flotte française avait été anéantie par les boulets de Nelson. Ce dernier y avait perdu la vie, mais la France avait perdu son armée des mers.
Tout cela était abstrait pour Joséphine, elle n’y pouvait d’ailleurs rien, ne lisant pas, pas même le journal.
Le deuxième fait était la reprise de l’agitation du clan Bonaparte. Louis, par exemple, avait énergiquement refusé que Napoléon adoptât le petit Napoléon Charles ; il était allé jusqu’à accuser son frère de vouloir le priver de ses droits de succession au bénéfice de son fils. Il est vrai que la condition physique et mentale de Louis se dégradait à vue d’oeil ; tout roi de Hollande qu’il fût et pour satisfaire à on ne savait quel traitement, il se couchait dans des haillons épouvantables, au côté de la malheureuse Hortense.
Joséphine s’avisa aussi que la hargne des Bonaparte à son égard avait redoublé de virulence. Elle avait appris que Caroline, la plus acharnée à se débarrasser d’elle, avait conçu un plan machiavélique. Sachant que Napoléon doutait secrètement de sa propre capacité à engendrer un enfant, elle avait voulu lui en fournir la preuve. Elle avait donc installé dans un pavillon de sa campagne une ancienne condisciple de l’institution de Mme Campan, Éléonore Denuelle de la Plaigne, une petite beauté de dix-huit ans, aux yeux de jais, aux fins
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