Joséphine, l'obsession de Napoléon
la Garde de Russie, vingt généraux, trente mille prisonniers, plus de vingt mille tués : spectacle horrible !
L’empereur Alexandre est au désespoir et s’en va en Russie. J’ai vu hier à mon bivouac l’empereur d’Allemagne [car jusqu’alors l’empereur d’Autriche portait le titre d’empereur d’Allemagne]. Nous causâmes deux heures. Nous sommes convenus de faire la paix.
Le temps n’est pas encore très mauvais. Voilà enfin le repos rendu au continent ; il faut espérer qu’il va l’être au monde : les Anglais ne sauraient nous faire front.
Je verrai avec bien du plaisir le moment qui me rapprochera de toi.
Adieu, ma bonne amie, je me porte assez bien et suis fort désireux de t’embrasser.
Presque un nouveau bulletin militaire. Joséphine ne jugea pas utile d’y répondre non plus. Cependant il écrivait toujours et le ton se faisait moqueur. De son quartier général de Brünn, le 10 décembre :
Les belles fêtes de Bade, de Stuttgart et de Munich font-elles oublier les pauvres soldats qui vivent couverts de boue, de pluie et de sang ?
Et de Schönbrunn, le 19, toujours moqueur :
Grande impératrice, pas une lettre de vous depuis votre départ de Strasbourg. Vous avez passé à Bade, à Stuttgart, à Munich sans nous écrire un mot ; ce n’est pas bien aimable, ni bien tendre.
Daignez, du haut de vos grandeurs, vous occuper un peu de vos esclaves.
Napoléon
C’était bien, il mendiait maintenant la tendresse de sa femme. Enfin ! Elle écrivit le 16 décembre, alléguant qu’elle avait été souffrante. Excuse commode : ses malaises n’étaient pas si graves qu’elle ne pût s’asseoir à son secrétaire et coucher quelques lignes aimables. Mais ses silences constituaient sa vengeance.
À Paris, les nouvelles des victoires d’Ulm et d’Austerlitz illuminaient la cour et la ville. Les stratèges de salon les attribuèrent à la rapidité des troupes françaises, qui couraient à cent vingt-cinq pas par minute, alors que les Autrichiens, eux, n’en faisaient que soixante-quinze.
Le détail de la campagne ne leur était sans doute pas encore parvenu : sans le génie militaire, stratégique et tactique de l’Empereur, la rapidité en question n’eût pas servi à grand-chose.
À Schönbrunn, Napoléon se comporta comme le maître du monde, du moins de celui qui était soumis à ses armes ou à la menace de celles-ci. Il commença par décréter la déchéance des Bourbons de Naples : « La dynastie de Naples a cessé de régner. » Les Bourbons s’étaient alliés avec les Anglais, ils étaient punis ; il ne resterait plus de leur royaume que la Sicile, sous protection de la flotte anglaise ; le royaume de Naples serait offert à Joseph. L’Empereur créa aussi des princes d’un trait de plume ; ainsi le morne Bacciocchi, le mari d’Élisa, fut nommé prince de Lucques et Piombino. Pauline, déjà mariée en secondes noces au prince Camille Borghèse, et donc « vraie » princesse, comme elle s’en vanta puérilement – oublié donc le veuvage de l’infortuné Leclerc, mort à Saint-Domingue –, devint princesse de Guastalla. Les Murat reçurent le duché de Berg et de Clèves, taillé sur mesure. Louis devint roi de Hollande, et Jérôme, qui s’était repenti de sa dissipation et avait divorcé de sa première épouse américaine, reçut en dot le royaume de Westphalie.
Joséphine avait appris ces décisions au cours de son voyage. Elle ne fut cependant pas informée que, à Schönbrunn, Augereau avait suggéré à Napoléon d’épouser une des archiduchesses d’Autriche et que Napoléon lui avait répondu qu’elles portaient malheur et que le souvenir de Marie-Antoinette était encore trop frais. Elle constata en tout cas que son époux avait minutieusement réglé le détail de son voyage : deux dames d’honneur devaient partager sa voiture et celle-ci devrait être précédée par une autre emportant deux chambellans de sa maison et suivie d’une troisième, transportant sa femme de chambre et ses bagages.
Son arrivée dans chaque ville devait être saluée par les cloches, des coups de canon et des trompettes.
Les grands-ducs de Bade résidaient en fait à Karlsruhe. Et là commença une entreprise matrimoniale de vaste envergure. Le grand-duc n’avait personne d’autre à marier que son plus jeune fils, sa fille aînée ayant épousé l’Électeur de Bavière et la cadette, l’empereur de Russie. Or le prince de Bade
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