Joséphine, l'obsession de Napoléon
bataille contre les Russes, pour leur faire tâter le fil de son sabre. Ce serait le combat final. Il imposerait ensuite sa volonté à la terre entière et réduirait ces satanés Anglais en sujétion. Il réglerait aussi le problème de sa succession, car la jalousie de Joséphine devenait pesante. Maintenant qu’il était sûr de ses capacités à procréer, il ne restait plus qu’à trouver la princesse qui servirait le mieux ses intérêts politiques et lui donnerait un, deux ou trois héritiers. Cela serait plus facile quand il serait devenu maître de l’Europe. À Murat, il écrivit :
Ma santé n’a jamais été aussi bonne, tellement que je suis devenu plus galant que par le passé.
La question de la succession se posa cependant plus rapidement qu’il s’y était attendu.
34
Le givre sur les jardins
Joséphine ne se résolvait pas à quitter Mayence, en dépit des souhaits et ordres répétés de Napoléon. Elle l’y aurait attendu jusqu’à ce qu’il fût revenu de cette interminable équipée destinée à lui conquérir la couronne d’Europe.
Elle en partit pourtant, contre son gré, en larmes, non pas à destination de Paris, mais du château de Laeken, à Bruxelles. Elle devait y retrouver sa fille, frappée par un deuil atroce. Le jeune Napoléon Charles était mort du croup {19} le 5 mai à La Haye après six jours de souffrances.
L’épreuve fut brutale. Hortense était déjà affectée par le comportement de plus en plus erratique de son mari Louis. Quand elle avait regagné le palais de La Haye, après avoir quitté sa mère à Mayence, elle l’avait retrouvé comme hanté ; il avait tenté de lui faire signer un pacte selon lequel ils ne recevraient ni ne correspondraient avec personne sans se le dire l’un à l’autre et ils ne céderaient jamais leurs enfants à l’Empereur ni à l’Impératrice. L’on dirait de nos jours qu’il était paranoïaque.
Et c’était avec cet homme qu’elle devait endurer le deuil de son fils. La présence de sa meilleure amie, Adèle Auguié, future épouse du général de Broc, grand maréchal du palais, l’aida à peine à surmonter l’épreuve. « Et j’ai survécu ! écrirait-elle dans ses Mémoires . Dieu veut-il donc qu’une mère survive à son enfant ? »
Joséphine n’était guère plus vaillante :
J’arrive à l’instant au château de Laeken, ma chère fille ; c’est de là que je t’écris, c’est là que je t’attends. Viens me rendre la vie ; ta présence m’est nécessaire, et tu dois avoir besoin aussi de me voir et de pleurer avec ta mère. J’aurais bien voulu aller plus loin, mais les forces me manquent, et d’ailleurs je n’ai pas eu le temps de prévenir l’empereur. J’ai retrouvé du courage pour venir jusqu’ici ; j’espère que tu en trouveras aussi pour venir voir ta mère.
Adieu, ma chère fille, je suis accablée de fatigue, mais surtout de douleur.
La perte de son petit-fils bien-aimé, la chair de sa chair, lui apparaissait comme un coup supplémentaire d’un destin désormais odieux. Hortense et Louis arrivèrent le lendemain, 15 mai. Les retrouvailles des deux femmes furent effrayantes. Hortense semblait inerte, comme frappée d’insensibilité, et, quand elle se retrouva en présence de Joséphine et qu’elle ne leva même pas les yeux sur elle, celle-ci poussa un cri perçant, qui sembla réveiller sa fille de sa torpeur. Hortense se jeta dans les bras de sa mère et elles mêlèrent leurs sanglots.
Prévenu de la mort du petit garçon qu’il aimait tant et qui était son héritier, l’Empereur envoya un mot de condoléances à Hortense et ordonna que Napoléon Charles fût enseveli dans une chapelle de Notre-Dame, en attendant que la restauration de Saint-Denis fût achevée.
La mère et la fille partirent alors pour la Malmaison. La compagnie d’Hortense ne fut guère d’un grand secours pour Joséphine, ni l’inverse, d’ailleurs ; Hortense passait par de longues prostrations alternant avec des crises de larmes. À la fin, le médecin l’envoya faire une cure à Cauterets, dans les Pyrénées. Joséphine retrouva sa solitude et un accablement de plus ; après la naissance du « comte Léon », la mort de Napoléon Charles ranimait, en effet, la menace d’un divorce.
Un chagrin supplémentaire l’atteignit à la Malmaison : le 2 juin, sa mère était morte aux Trois-Ilets, à la Martinique, à soixante et onze ans. Elle en prévint Napoléon :
Weitere Kostenlose Bücher