Joséphine, l'obsession de Napoléon
pénétré à l’est, il n’avait pas rencontré les troupes d’Alexandre Ier et n’aurait pas trop des secours des populations locales.
Il devint donc le héros des Polonais et, apprenant qu’il était en route pour Varsovie, ils se pressèrent au-devant de lui. Au dernier relais de poste, ils aperçurent sa voiture qu’ils entourèrent. Une jeune femme dont le bonnet de fourrure laissait échapper des mèches blondes vint prier le général Duroc de la présenter à l’Empereur. Le général l’emmena vers la voiture impériale et, quand il abaissa la glace, Napoléon aperçut une jeune beauté, fraîche comme une rose, qu’il prit pour une paysanne et qui, ô surprise, parlait français. Elle bafouilla un compliment extatique et il lui tendit l’un des bouquets que l’on avait jetés dans sa voiture.
Installé à Varsovie, il manda Duroc de s’enquérir de la fausse paysanne, avec l’ordre de la ramener en ville. Cela fut fait le 3 janvier, date à laquelle il écrivait à Joséphine : « Ta douleur me touche. » La jeune fille était l’épouse d’un ardent patriote polonais, le comte Alexandre Walewski, dont elle avait eu un enfant, un petit garçon.
Alors se créa une situation extravagante, où le scandale rivalisait avec le patriotisme.
L’aristocratie polonaise offrait, le 3 au soir, un grand bal en l’honneur de Napoléon. Il menaça de ne pas y aller si la comtesse Walewska n’y était pas invitée. Allait-on déplaire à l’homme le plus puissant d’Europe et au libérateur de la Pologne ? Une délégation alla plaider auprès du comte Walewski. Il avait soixante-dix ans ; sa fibre politique vibra plus fort que celle de son honneur conjugal. Il enjoignit à sa femme de se rendre au bal. Mais elle, n’avait-elle pas son mot à dire ? Les amis de son mari ne voyaient-ils donc pas ce qui était en jeu ? Mais de quel poids pèserait la vertu d’une femme en regard de l’intérêt national ? Elle se réfugia dans sa chambre ; ce fut son époux qui vint la sommer d’aller à ce bal.
Elle y entra au bras de son mari. Elle était vêtue de tulle blanc, sans un seul bijou.
— Blanc sur blanc n’est pas une façon de s’habiller, madame, lui déclara Napoléon.
Aussi se piquait-il de mode, toutes les femmes de sa cour ne le savaient que trop. Il dictait même les ourlets.
Elle refusa de danser avec quiconque. Deux officiers qui tentèrent d’engager la conversation avec elle furent dépêchés sur-le-champ à des avant-postes lointains. Quant à elle, elle reçut après le bal le billet suivant :
Je n’ai vu que vous, je n’ai admiré que vous, je n’ai désiré que vous. Une prompte réponse calmera l’impatiente ardeur de
N.
— Il n’y a pas de réponse, signifia-t-elle au messager.
Elle ne connaissait pas l’obstination de l’assiégeant : il lui adressa un flot de lettres, dont l’une fut même accompagnée d’un écrin, qu’elle jeta par terre sans même l’ouvrir. La prenait-il pour une catin ?
La situation devint dangereuse autant que déplaisante. Napoléon écrivit à la comtesse :
Venez à moi, tous vos espoirs seront satisfaits. Votre pays me sera plus cher quand vous prendrez pitié de mon pauvre coeur. […] Chaque fois que j’ai pensé une chose impossible ou difficile à obtenir je ne l’en ai désirée que davantage. Rien ne me décourage. […] Je veux vous forcer, oui, vous forcer à m’aimer. Marie, j’ai rendu à la vie le nom de votre pays. Je ferai bien plus.
Ses lettres sont conservées dans les archives Walewski ; elles reflètent le délire sexuel de leur auteur, mais elles disent aussi trop clairement qu’au sommet de sa puissance Napoléon avait perdu le sens des valeurs qu’il entendait pourtant imposer à la France. Cédant aux objurgations de ses amis, Marie Walewska se rendit un soir à la résidence de Napoléon. Il se jeta sur elle, elle tenta de lui résister.
— Rappelez-vous, cria-t-il, si vous me poussez trop loin, le nom même de la Pologne et tous vos espoirs seront fracassés comme cette montre !
Il jeta la sienne par terre et l’écrasa de son talon. On ne possède que deux témoignages de ce qui s’ensuivit. Celui de la comtesse Walewska qui, dans ses Mémoires, raconte qu’elle perdit connaissance et se rendit compte en reprenant ses esprits que Napoléon avait abusé d’elle, et celui de Napoléon lui-même qui raconta à Sainte-Hélène, avec une muflerie de soudard, qu’elle n’avait
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