Joséphine, l'obsession de Napoléon
encore :
Savary me dit que tu pleures toujours : cela n’est pas bien. J’espère que tu auras pu te promener aujourd’hui. Je t’ai envoyé de ma chasse. Je viendrai te voir lorsque tu me diras que tu es raisonnable et que ton courage prend le dessus.
Lettre creuse : pensait-il qu’une femme n’a pas de coeur et subisse les blessures de son amant sans ciller, et cela rien que pour le délivrer de sa culpabilité ? Elle ne comprenait pas vraiment le comportement de cet homme. Et les mêmes questions revenaient : s’il l’aimait tant, pourquoi n’avait-il pas désigné un de ses neveux comme héritier ? Le souci dynastique lui apparaissait de moins en moins convaincant. Épouserait-il maintenant une femme qu’il n’aimait pas à seule fin d’avoir un descendant direct ? Était-ce bien le même homme qui lui avait écrit jadis : « Je ne suis rien sans toi. Je conçois à peine comment j’ai existé sans te connaître » ? N’était-il donc qu’un menteur qui ne pouvait s’empêcher de se mentir à lui-même ? Ou bien n’était-il en vérité que l’homme sans coeur qui avait jadis déclaré : « L’amour est une folie faite à deux » ? Elle ne savait que conclure. Tant de contradictions menaient à tout rendre insignifiant. Et, à trop s’interroger, l’on frisait la folie.
Il écrivait encore ! Ainsi, de Trianon, le 17 janvier :
Mon amie, d’Audenarde, que je t’ai envoyé ce matin, me dit que tu n’as plus de courage depuis que tu es à la Malmaison. Ce lieu est cependant tout plein de nos sentiments qui ne peuvent et ne doivent jamais changer, du moins de mon côté.
J’ai bien envie de te voir ; mais il faut que je sois sûr que tu es forte, et non faible ; je le suis aussi un peu, et cela me fait un mal affreux.
Avait-il perdu le sens commun ? Audenarde était un ancien écuyer de la maison de Joséphine, que Napoléon avait repris à son service, avant de l’affecter sans doute au service de la prochaine impératrice. Et à propos de la Malmaison qui était, en effet, chargée de souvenirs, que devrait-elle faire ? Feindre que ces souvenirs n’existaient pas ?
Les lettres s’espacèrent toutefois, et Joséphine en découvrit brutalement la raison. Un matin, elle reçut la visite d’un émissaire de l’ambassadeur d’Autriche, qui venait de son aveu à titre officieux. Il lui demanda sous le sceau du secret s’il était vrai qu’elle aurait fait une confidence au prince de Mecklembourg sur l’impossibilité de concevoir dont souffrait son ancien époux l’empereur. Elle demeura un moment sans voix. Elle connaissait bien le prince : Frédéric-Louis de Mecklembourg-Strelitz lui avait rendu visite deux fois ces derniers jours et se posait comme prétendant ; mais ils n’étaient pas en termes si intimes pour qu’elle lui ait dit ou laissé entendre ce qu’insinuait l’émissaire. Au demeurant, elle ne pouvait d’aucune façon passer pour la source d’une telle rumeur. Elle répondit qu’elle n’aurait jamais fait pareille confidence au prince de Mecklembourg ni à quiconque, et que de tels propos offensaient la décence. Mais elle devina que, si la Maison d’Autriche soulevait la question, c’était donc qu’un mariage se préparait.
L’évidence l’indiquait : quand la deuxième soeur du tsar Alexandre avait été mariée en urgence, sur les instructions de l’impératrice douairière, Napoléon avait compris qu’il devrait chercher ailleurs une autre épouse. Son choix, naturel en quelque sorte, s’était alors porté sur une fille de l’empereur vaincu à Wagram.
Deux jours plus tard, elle reçut la visite de l’épouse du prince de Metternich, car, désormais ministre des Affaires étrangères, ce dernier avait été élevé à ce rang par son empereur. Si la princesse s’était attendue à trouver une Impératrice déchue, amère et larmoyante, elle en fut pour ses frais : Joséphine lui déclara qu’elle serait heureuse d’arranger le mariage entre Napoléon et une fille de l’empereur d’Autriche, car il prouverait que son sacrifice n’avait pas été inutile.
Lentement s’instaura un rythme de vie où l’empereur ne serait plus qu’une effigie, une apparition épisodique, compassée, embarrassée, éplorée. Plusieurs des gens de la maison de Joséphine étaient partis, Napoléon ayant décidé de réduire leur traitement de moitié.
Le 3 février, lasse des frimas et de la solitude de la Malmaison, Joséphine
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