Joséphine, l'obsession de Napoléon
froid.
Avait-elle rêvé que le général évoquerait une femme de lettres ? Elle s’enferra de la façon la plus détestable et observa qu’il avait la réputation d’aimer peu les femmes.
— Pardonnez-moi, madame, mais j’aime beaucoup la mienne.
L’assemblée ricana. Germaine de Staël en fut dépitée et Bonaparte en conçut de l’antipathie pour la reine des bas-bleus. Talleyrand ne pardonna pas à la baronne cet intermède pitoyable, qu’elle se garda évidemment de rapporter.
L’on dansa jusqu’à l’aube mais, à minuit, les Bonaparte étaient partis.
15
La lettre du 17 mars 1798
La preuve avait été faite que Joséphine était à Paris le principal atout de Bonaparte. Elle l’avait d’abord été pour lui, mais elle aussi en avait pris conscience. Accueillie comme une souveraine au bal de l’hôtel de Gallifet, elle en avait aussi été l’ornement. Même la belle Juliette Récamier et la non moins séduisante Aimée de Coigny n’avaient pas osé rivaliser avec elle. Ce sacre sans le nom était d’autant plus affirmé que le bal lui-même et son organisateur, Talleyrand donc, avaient fait l’objet d’éloges des journaux et de ces bavards qui reflètent l’opinion publique et parfois l’enrichissent.
Les uns et les autres firent pareillement la louange du mode de vie du général et de son épouse : ils n’avaient évidemment pas visité la maison de la rue de la Victoire, mais n’en décrivaient pas moins le train de vie modeste d’un couple dénué d’ambition et qui ne recherchait ni le succès politique, ni les fastes mondains.
Ainsi va la presse.
Cette image vertueuse était le fruit des efforts de Bonaparte pour présenter au peuple l’image d’un jacobin austère, symbolisée par sa fameuse redingote de drap ordinaire. La vie continuait comme avant rue de la Victoire, et les petits soupers fins y réunissaient les amis anciens, dont Barras, Thérésa et son époux Tallien, mais aussi de nouveaux, tels Joseph Chénier, le frère du poète guillotiné, le peintre Jacques Louis David, le tragédien Talma, des académiciens et des savants, comme Monge ou Berthollet, et bien évidemment Talleyrand.
Le prestige de Joséphine renforça son indépendance. Elle revit et Barras et Charles. En témoignent les nombreuses lettres qu’elle leur adressa et notamment, pour le premier, un billet à son secrétaire, François-Marie Botot {12} , le priant d’informer son maître qu’elle ne pourra pas se rendre chez lui dans la soirée, Bonaparte étant rentré à l’improviste, dans la nuit, d’une tournée des ports de la Manche ; à l’évidence, il s’agissait d’un dîner où Bonaparte n’aurait pas été le bienvenu. Quant à Charles, il apparaît, au ton de la lettre que lui adresse Joséphine le 17 mars 1798, que leur intimité et leur complicité sont bien établies. Outre le fait qu’elle le tutoie, elle y dévoile tout le double jeu qui fut le sien pendant des années.
C’est à coup sûr la lettre la plus révélatrice de tous les documents relatifs à Joséphine ; elle a miraculeusement échappé à l’autodafé des lettres de celle-ci qu’Hippolyte Charles avait ordonné de brûler à sa mort ; peut-être fut-ce sa nature explosive qui lui valut d’être arrachée au brasier. Elle ne fut retrouvée qu’en 1950 par l’historien Louis Hastier, ce qui explique les portraits antérieurs de Joséphine, excessivement indulgents. Elle commence en ces termes :
Joseph a eu hier une grande conversation avec son frère ; à la suite de cela, on m’a demandé si je connaissais le citoyen Bodin, si c’était moi qui venais de lui procurer la fourniture de l’armée d’Italie, qu’on venait de lui dire que Charles logeait chez le citoyen Bodin, no. 100, faubourg Saint-Honoré, et que j’y allais tous les jours. J’ai répondu que je n’avais aucune connaissance de tout ce qu’il me disait, que s’il voulait divorcer il n’avait qu’à parler, qu’il n’avait pas besoin de se servir de tous ces moyens, que j’étais la plus infortunée des femmes et la plus malheureuse.
« On » signifie évidemment Bonaparte. Il vient d’être instruit des résultats de l’espionnage de son épouse, que Joseph poursuit depuis des mois. Sont-ils véridiques ? Ou bien ont-ils été exagérés par la malveillance de Joseph à l’égard de sa belle-soeur ? La deuxième hypothèse semble plus probable. Un fait est certain : la confiance était loin
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