Joséphine, l'obsession de Napoléon
qui l’a supplantée ; son seul véritable amour est Hippolyte Charles. Le ton suicidaire en témoigne. L’exaspération a peut-être outré les sentiments de Joséphine, mais il apparaît que, près de deux ans exactement après leur mariage, les Bonaparte ne sont plus unis que par des liens de convenance. Avec cette lettre s’écroule la légende d’imparable indulgence que Joséphine aurait témoignée à ses ennemis.
Le reste de la lettre dévoile dans toute sa crudité la complicité de Joséphine et de Charles :
Dis je t’en prie à Bodin qu’il dise qu’il ne me connaît pas, que ce n’est pas par moi qu’il a eu le marché de l’armée d’Italie ; qu’il dise au portier du numéro 100 que, lorsqu’on lui demandera si Bodin y demeure, il dise qu’il ne le connaît pas, qu’il ne se serve des lettres que je lui ai données pour l’Italie que quelque temps après son arrivée dans ce pays-là et quand il en aura besoin. Sache, entre nous soit dit, si Jubié n’est pas lié avec Joseph. Ah ! ils ont beau me tourmenter, ils ne me détacheront jamais de mon Hippolyte ; mon dernier soupir sera pour lui.
Qui est Jubié ? Un membre de ce qu’on peut appeler le « réseau Joséphine » : ancien administrateur du département de l’Isère, puis député aux Cinq-Cents, il est directeur de la Banque Jubié, Bastereiche & Cie en même temps qu’il est fondé de pouvoir de la compagnie de MM. Bodin frères. Mais Joséphine a raison : Jubié est, en effet, lié à Joseph Bonaparte.
Les derniers mots de la lettre sont tout aussi révélateurs :
Je ferai tout au monde pour te voir dans la journée. Si je ne le pouvais pas, je passerais ce soir chez Bodin et demain matin je t’enverrais Blondin pour t’indiquer une heure pour te trouver au jardin de Mousseaux. Adieu, mon Hippolyte, mille baisers brûlants, comme mon coeur, et aussi amoureux.
Si tu as quelque chose à m’envoyer, donne-le à Blondin.
On a dit que le jour de cette catastrophe tu avais été chez le ministre de la Guerre demander ta démission.
On ne sait pas avec certitude qui était Blondin ; selon certains, ce pourrait être Joseph Raymond, le domestique des Bonaparte ; dans ce cas, Joséphine serait bien imprudente, n’était que le dénommé Blondin a servi de messager dans bien d’autres circonstances et qu’il semble avoir donné satisfaction à sa maîtresse. Quant au « jardin de Mousseaux », c’est l’actuel parc Monceau.
La dernière petite phrase : « On a dit… » est lourde de sous-entendus. « On » est très probablement Bonaparte, que Joséphine ne désigne jamais nommément dans ses lettres secrètes. Pourquoi le général aurait-il mentionné la demande de démission d’un obscur capitaine de hussards, n’était qu’il en savait le rôle dans le réseau, outre le fait qu’il était l’amant de sa femme ?
En effet, les rumeurs de concussion qui commençaient à se répandre en haut lieu avaient contraint Charles à demander d’être relevé de ses fonctions dans l’armée.
Quelque deux semaines plus tard, le 31 mars, Bonaparte annonça à sa femme qu’il avait acheté le petit hôtel où ils demeuraient : 52 400 francs, plus 6 400 francs de soulte, payés à Julie Carreau. Elle y avait mis pour plus de 300 000 francs de meubles, sans parler des trésors offerts en Italie, mais elle n’était plus chez elle.
En dépit de cet avertissement, la situation ne changea guère dans les mois qui suivirent. Joséphine multiplia les interventions auprès de Barras, du ministre de la Guerre, du ministre de l’Intérieur, du ministre de la Marine, de la Police – par exemple pour demander que celle-ci autorise la musicienne Caroline Wuiet à porter parfois des habits d’homme ! – au bénéfice de tiers ; son autorité semble considérable, bien que son époux ne détienne aucun titre.
Ses rapports avec Hippolyte Charles demeurent inchangés ; la deuxième lettre échappée à l’autodafé {13} ne le dit que trop bien :
Je vais, mon cher Hippolyte, à la campagne. Je serai de retour à cinq heures et demie ou à six heures chez Bodin te chercher. Oui, mon Hippolyte, mon existence est un supplice continuel !
Toi seul peux me rendre au bonheur. Dis-moi que tu m’aimes et que tu n’aimes que moi. Je serai la plus heureuse des femmes.
Envoie-moi cinquante mille livres par Blondin, des billets que tu as. Collot me les demande.
Adieu, je t’envoie mille tendres baisers.
Weitere Kostenlose Bücher