Joséphine, l'obsession de Napoléon
l’enrichissement extraordinaire de Joseph : qu’il eût acheté sa maison de Paris passait encore, la fortune de son épouse Désirée Clary pouvait le justifier, mais qu’il eût également acquis le château de Mortefontaine, avec ses bois, ses étangs et ses milliers d’hectares, non : d’où venait cet argent ? Des quelque cinquante millions de francs provenant du pillage de l’Italie, on affirmait que dix avaient été au Directoire et que Bonaparte en avait gardé trois.
La popularité de Bonaparte pâlissait. Une fois de plus, Joséphine s’imposait comme la seule capable d’en ranimer la flamme.
16
Les grondements de l’orage
Joséphine le suivrait en Égypte. Ainsi en décida Bonaparte. Il éloignerait ainsi sa volage épouse de son détestable amant et des magouilles de marigot dans lesquelles elle pêchait les fonds pour ses folles dépenses.
Qu’était cette expédition d’Égypte ? Joséphine avait évidemment interrogé Barras là-dessus, quand le Directoire eut, bien à contrecoeur, souscrit à ce projet alarmant d’une offensive militaire aux confins du monde, dans des déserts brûlants.
— Nous avons vaincu tous les pays d’Europe sauf l’Angleterre, répondit le directeur. C’est notre ennemie naturelle. Le projet que défend ton mari est de lui couper la route des Indes, dont elle tire ses richesses. L’Égypte est le grand carrefour de cette route.
Et pourquoi ne pas occuper la Lune, tant qu’à faire ?
On ne trouve pas, dans les lettres de Joséphine ni les nombreux propos rapportés par ses proches, la plus anodine des réflexions politiques. Cette femme qui a côtoyé certains des hommes les plus puissants de la planète semble n’avoir jamais conçu le plus infime jugement sur eux : aucune anecdote, aucun trait, aucune observation. Elle n’a jamais eu, apparemment, la moindre idée générale sur la royauté, la Révolution et les événements qui suivirent non plus que sur les puissances étrangères avec lesquelles la France était en guerre. Le trait est singulier : elle semble s’être résignée à n’être qu’une femme dans un monde d’hommes, grands animaux violents qu’elle s’efforce de dompter, mais qui trouvent toujours prétexte à des opérations meurtrières de grande envergure.
Il paraît pourtant impossible que, partageant l’intimité de gens tels que Barras, Hoche, Bonaparte, elle n’ait pas eu de réaction sur les propos qu’ils tenaient ; elle n’en fait jamais part. Elle ne fit pas exception au sujet de l’expédition d’Égypte. Bonaparte en était enfiévré, son épouse le voyait bien : il travaillait tard à la préparation des plans et parfois revenait à la maison avec deux ou trois de ses aides.
Ce projet extravagant était-il le seul motif de la mine sombre de son époux ? Non, et elle n’était pas la seule à le deviner : Bonaparte avait peur d’être assassiné. La nuit, il faisait verrouiller les issues de la maison. Il faisait garder dans l’écurie de la rue de la Victoire un cheval sellé, prêt à partir à tout moment, et n’enlevait jamais ses bottes, qui contrastaient étrangement avec sa tenue de civil. Son comportement devenait offensant pour ses hôtes : invité à dîner, fût-ce chez Barras, il arrivait suivi d’un serviteur portant son panier, ses plats, ses couverts et son verre et ses vivres, et ne buvait que le vin que lui servait ce domestique. Il confia au directeur Reubell qu’il tremblait d’être arrêté et que, la nuit, il faisait souvent le même cauchemar : il était prisonnier au Temple.
Le Moniteur et d’autres journaux rapportaient l’animosité croissante des jacobins contre une certaine « personne qui aspire à être le dictateur de la France ».
Thérésa et Tallien le lui confirmèrent : les Directeurs et une fraction importante des Cinq-Cents menaient campagne contre un général qui nourrissait trop visiblement des projets politiques.
« Une longue absence le fera oublier un peu », observa Tallien.
La seule consolation de Joséphine fut que son fils Eugène serait du voyage.
Le projet de ladite expédition avait failli couler. Le Directoire, en effet, en tenait toujours pour l’invasion de l’Angleterre, où Hoche avait échoué. Bonaparte n’y croyait pas : la flotte française n’était pas assez forte et il fallait un budget considérable pour monter l’opération. Si un débarquement avait lieu, les troupes françaises ne
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