Joséphine, l'obsession de Napoléon
allée à sa rencontre. En tout état de cause, le fait qu’elle fût partie avec Hortense et qu’elle revînt avec elle excluait toute désertion du foyer. L’accueil qu’il leur réserva ensuite est totalement injustifié.
L’image du guerrier victorieux et rentrant chez lui pour trouver son foyer déserté fait partie de la mythologie larmoyante du temps.
Ce n’est certes pas la seule fois que Bonaparte biaise les faits, soit que sa mémoire lui fît défaut, soit qu’il fût sciemment de mauvaise foi. Ne dit-il pas, à Sainte-Hélène encore, et devant le général Bertrand, à propos des Mémoires historiques et secrets de l’impératrice Joséphine {14} : « L’auteur veut que Joséphine ait fait ma fortune. J’avais fait le 13 vendémiaire, le siège de Toulon, j’étais général en chef de l’armée de l’intérieur, que je n’avais jamais vu Joséphine. » C’est fort de café et dit en désordre : le siège de Toulon remonte à 1793 et le jeune général de brigade n’est pas encore « monté à Paris » ; sa fortune est alors loin d’être faite. Et il reconnaît lui-même ce que sa carrière doit à Joséphine. Mais il avait certainement vu, tout au moins croisé Joséphine chez Barras avant Vendémiaire, car c’était elle qui recevait à l’hôtel de Chaillot, chez le directeur Barras.
Les « témoins » ne sont guère plus fiables. Bourrienne raconte que, le même soir du retour de Bonaparte à Paris, le banquier Jean-Pierre Collot, avec lequel il était en affaires en Italie, lui aurait rendu visite rue de la Victoire ; il aurait trouvé le général se chauffant devant le feu, car il serait devenu frileux en Égypte. Bonaparte lui aurait déclaré qu’il ne permettrait plus à Joséphine de remettre les pieds dans la maison. Collot aurait tenté de le raisonner et lui aurait dit que, lorsque Joséphine serait revenue et se serait fait pardonner, Bonaparte en serait heureux. « Jamais ! aurait crié Bonaparte. Je ne lui pardonnerai jamais ! Combien peu vous me connaissez. Si je n’étais pas si sûr de moi, je m’arracherais le coeur et je le jetterais dans ce feu. » Mais Collot aurait objecté que Bonaparte était « l’idole » de la France et que sa grandeur serait affectée par des querelles domestiques. « Plus tard, aurait-il dit, si vous n’êtes pas satisfait de votre femme, vous pourrez vous en débarrasser. »
En premier lieu, cette conversation n’a pu se tenir le soir du retour et Bourrienne n’était donc pas bien informé de la visite de son maître au palais du Luxembourg. En second lieu, on est évidemment frappé par la muflerie des propos et, plus encore, par ces déballages de problèmes conjugaux au premier venu. Collot n’était pas un intime de Bonaparte et l’indiscrétion de l’un le dispute à l’indélicatesse de l’autre, si du moins cette conversation a jamais existé. Car Bourrienne n’y étant pas, qu’en aurait-il su ?
Point étrange : l’un de ces récits rapporte que, cette nuit-là, qui fut décidément bien longue, Bonaparte aurait aussi rendu visite à Fortunée Hamelin, afin de lui demander conseil sur son intention de divorce. Cette jeune femme était, avec Juliette Récamier, Aimée de Coigny et Thérésa Tallien, ainsi que Joséphine, l’un des ornements de la société parisienne après la réaction thermidorienne ; créole de vingt ans, danseuse endiablée, amie de Joséphine, elle s’était illustrée dans la chronique parisienne en se montrant les seins nus dans l’un des bals de la « campagne » des Champs-Élysées et avait épousé le financier Antoine Hamelin. On eût rêvé mieux comme conseillère conjugale ; mais enfin, elle se montra loyale à son amie des îles et déconseilla le divorce à Bonaparte. Il est douteux que la visite ait eu lieu la nuit – après tout Fortunée Hamelin était mariée –, mais quelle qu’eût été l’heure, on peut juger de l’égarement d’un général qui rentre au pays après une campagne militaire chaotique en Orient, suspect de désertion, et va quérir des avis sur l’avenir de son ménage.
Quant à la scène de larmes qui aurait duré des heures devant la porte close, elle reste elle aussi suspecte. On voit mal Laetitia descendre de la commode sans mot dire. Lorsque Lucien Bonaparte vint le lendemain rue de la Victoire, il trouva le couple au lit. Au temps pour les serments de Bonaparte et le coeur jeté au feu.
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