Joséphine, l'obsession de Napoléon
avec Bonaparte est telle que Talleyrand l’a même prétendue homosexuelle. On peut se demander s’il n’aurait pas participé à un complot visant à briser le ménage Bonaparte.
La lettre de Bonaparte, autre pièce essentielle de l’affaire, est bizarre jusqu’à l’incohérence. Pour commencer, on croirait qu’il compte rentrer en France dans les semaines à venir. Ensuite, il demande une « campagne » – c’est-à-dire une maison de campagne – à Paris, alors qu’il possède la maison de la rue de la Victoire, et déclare qu’il ne se défera jamais de celle-ci. Puis la phrase : « Je n’ai jamais été injuste envers toi, malgré le désir de mon coeur de l’être… » défie le sens commun.
Personne, d’ailleurs, n’a jamais vu cette lettre, que Joseph publie cependant dans ses Mémoires : en tronquant mystérieusement les mots « car le voile est entièrement déchiré ». Mais on en connaît par la presse anglaise le texte supposé original.
Il est possible que Bonaparte, qui n’était pas encore informé de l’accident de Joséphine à Plombières, ait évoqué, devant quelques membres de son état-major, l’arrivée prochaine de son épouse, et que l’un ou l’autre d’entre eux aient exprimé leur scepticisme. Mais la scène avec Bourrienne, pris à partie pour n’avoir pas dénoncé l’épouse infidèle, est extravagante. Qu’en saurait Bourrienne ? Était-il chargé de veiller sur la vertu conjugale de Joséphine ? Et Junot ? Et Berthier ?
La saisie des deux lettres par les Anglais pose également un problème. Il faut savoir que les messages de l’armée d’Égypte au Directoire ne partaient pas toutes les heures ni tous les jours : ils devaient d’abord être expédiés à Aboukir, à une quarantaine de kilomètres d’Alexandrie ; de là, ils étaient confiés à un navire de courrier, qui devait ensuite appareiller à destination de Toulon, plus ou moins rapidement selon l’état de la mer. Et cela dans le meilleur des cas, les courriers étant souvent détournés ; ainsi le savant Monge, parti d’Alexandrie pour Le Caire avec ordre de trouver une demeure pour Bonaparte, eut la surprise de reconnaître par terre une lettre écrite en français : c’était celle que Louis Bonaparte avait pensé expédier à Paris. On peut mesurer les aléas du courrier au fait que la dépêche sur la bataille des Pyramides et celle sur le désastre d’Aboukir, distantes de dix jours, arrivèrent à Paris presque en même temps.
Il paraît plus que douteux que Bonaparte ait écrit sa lettre le soir même de la bataille des Pyramides, le 21 juillet ; même si l’on tient compte de sa capacité d’épanchements affectifs au coeur du combat, les récits détaillés des opérations montrent qu’il avait des tâches bien plus urgentes à régler. Elle aurait donc été rédigée le 22 et serait partie avec la dépêche annonçant la victoire des Pyramides. Celle-ci n’est pas non plus partie le 21 au soir ; elle a aussi été rédigée le 22, une fois que l’état-major avait rétabli la situation au Caire. On peut donc postuler que la lettre et la dépêche ont été jointes au même sac postal ; or ce sac est bien parvenu à Paris ; comment se fait-il que la lettre n’y ait pas été ?
La lettre d’Eugène, elle, rédigée le 24, aurait pu partir par un courrier ultérieur, car la poste n’était pas quotidienne. Mais comment se fait-il alors que les Anglais l’aient interceptée en même temps que celle de Bonaparte ? Mieux : la dépêche annonçant la destruction de la flotte à Aboukir, le 1 er août, est également parvenue à Paris, avec dix jours de retard. Et ce seraient justement les deux lettres intimes qui auraient été saisies par les Anglais ?
Voilà beaucoup de malchance, décidément. Tout cela fleure le coup monté, voire l’intrigue de palais. Montée par qui ? Et comment ?
Par qui : le premier suspect est Louis Bonaparte, qui faisait partie de l’expédition et qui, comme les autres membres du clan, était hostile à Joséphine. Il était facile de rédiger des lettres censées avoir été écrites par Bonaparte et Eugène de Beauharnais. Non pas à l’intention de la destinataire présumée, mais des Anglais. Ceux-là seraient certainement piqués par les preuves de l’infortune conjugale de leur ennemi, ils les publieraient et le retentissement du scandale n’affecterait en fait qu’une seule personne :
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