Joséphine, l'obsession de Napoléon
prises avec la vérité contiennent cependant un fond de celle-ci : dès février 1799, Bonaparte, qui aurait eu l’intention de se séparer de Joséphine, aurait fait part de ce projet à ses intimes, dont Junot. Quand La Pomone tarda à toucher Alexandrie avec son illustre passagère, il attribua sans doute ce retard au peu d’enthousiasme de Joséphine à le rejoindre. Il ignorait peut-être encore que La Pomone avait été capturée à Naples par les Anglais et aussi l’accident de Plombières. Il crut que Joséphine filait le parfait amour avec Charles. Il piqua peut-être une colère ou bien exprima sa déception.
Là-dessus, l’on broda. À la Restauration, chacun y alla de ses mémoires, en plusieurs volumes, et chacun ajouta une anecdote ou une révélation de son cru qui en assurerait le succès.
En réalité, son intention de rompre avec Joséphine s’était cristallisée sans raison nouvelle particulière. Peut-être avait-il pris le goût de beautés plus fraîches, telles que cette Pauline Fourès avec laquelle il se promena en calèche dans les rues du Caire, qu’il fit divorcer d’office et à laquelle il enjoignit l’ordre de « lui faire un garçon ». Incidemment, elle ne le fit pas.
Lors de son arrivée, il est certain que les femmes de son clan daubèrent sur l’absence de Joséphine ; peut-être ne lui laissèrent-elles pas le temps d’interroger la domesticité sur le départ de celle-ci. Il se livra alors à une exhibition de mâle blessé et vengeur.
Puis l’Égypte semble avoir fait à Bonaparte l’effet d’une drogue : peu après son arrivée au Caire, il annonça que lui et son armée se convertiraient à l’islam, prit le prénom d’Ali et, pour célébrer l’anniversaire de la naissance du Prophète, il s’attifa un soir d’un caftan et d’un turban. Il ne s’en défit qu’en voyant ses généraux se tordre de rire. Tallien lui déclara qu’il était ridicule. Reste qu’une assemblée d’ulémas du Caire demanda bien à La Mecque d’accorder à Bonaparte et à ses troupes le statut de sectateurs de Mahomet, que La Mecque l’accepta et que la décision fut proclamée du haut des minarets. La seule raison pour laquelle les troupes françaises et leur chef ne reçurent pas le statut de musulmans à part entière était leur refus de renoncer à l’alcool.
Bonaparte inventa aussi des sanctions extravagantes : apprenant que le pharmacien-chef Royer avait refusé de soigner les pestiférés d’Alexandrie, il fit mettre à l’ordre du jour : « Royer sera habillé en femme et promené à âne dans la ville… »
Ses spectaculaires sautes d’humeur font soupçonner un dérangement mental, fût-il passager.
18
Le lit de l’avenir
Ce ne fut pas l’étoile sentimentale des époux Bonaparte qui vacilla en ces premiers jours d’octobre 1799, ce fut celle de leur avenir.
Quand il était parti pour l’Égypte, Bonaparte n’était plus pour l’opinion publique et le Directoire le héros sans peur et sans reproche qu’il avait été. Pour les modérés, il restait le général Vendémiaire, un dangereux jacobin. Son prestige ne grandit guère dans les mois qui suivirent. L’expédition d’Égypte avait été une fuite en avant : comme l’avaient craint les Directeurs, à l’exception de Barras, la Sublime Porte, outragée par l’agression sur un pays vassal, l’Égypte, avait déclaré la guerre à la France et la Russie s’était jointe à elle.
Le courant jacobin avait repris de la vigueur et, pour les nouveaux enragés, Bonaparte n’était qu’un aventurier au service d’un gouvernement pourri par la concussion et la corruption. Certains demandaient le retour de la guillotine.
La lumière de la gloire militaire dans laquelle Joséphine avait baigné depuis son mariage avait décidément pâli. L’absence de son époux ne la ranimait certes pas. L’antagonisme des Bonaparte, désormais parisiens et mêlés à la politique, suscitait parfois en elle un inconfort extrême. Elle savait qu’ils la surveillaient, Joseph depuis son château de Mortefontaine et Lucien de son hôtel de la rue du Rocher, puis de Senlis, mais elle ne pouvait identifier leurs espions. De fait, Lucien n’en manquait pas plus que Joseph ; il s’était frauduleusement fait élire aux Cinq-Cents comme député de Corse : il fallait avoir trente ans au moins et il n’en avait que vingt-quatre, mais qu’importait, sa vertu jacobine affichée masqua
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