Joséphine, l'obsession de Napoléon
résolution de Sieyès et les préparatifs du coup, les revers et les victoires des généraux Brune, Ney, Masséna.
Bonaparte écouta patiemment : conscient de sa gloire, confirmée par les acclamations et les illuminations à chaque étape de son voyage de Fréjus à Paris, il avait cependant craint de se trouver accusé de désertion de son armée ; car celle-là était restée en Égypte, bloquée après la destruction de la flotte. Il était rentré avec deux frégates légères et la plus grande partie de son état-major, Murat, Berthier, Duroc, Lannes et Marmont ; il avait laissé sur place Junot et Kléber, ce dernier investi du commandement en chef. Il ne savait pas quelles dépêches étaient parvenues à Paris et craignait celles qui annonceraient le cuisant désastre qu’avait été en réalité le siège d’Acre, avec deux mille blessés et des milliers de victimes de la peste. On pourrait d’ailleurs lui reprocher d’avoir refusé l’offre des Anglais d’échanger deux mille prisonniers contre mille cinq cents blessés anglais…
Puis il avait compris qu’on lui avait en fait assigné le rôle de sauveur de la République. Il devenait providentiel.
À sa sortie du bureau de Barras, dans la nuit du 12 au 13 octobre, il était donc partiellement rassuré. Et ses idées sur son mariage avaient très probablement, sinon certainement évolué : son union avec Joséphine avait cessé d’être une affaire privée, c’était un mariage d’État. Leurs images étaient unies dans l’esprit du public. Il a été dit qu’il avait exposé au directeur son projet de divorce ; il est probable que Barras le lui ait déconseillé et certain qu’il lui ait révélé l’influence de Joséphine sur Gohier. Ce fut un point qu’il admit à Sainte-Hélène : elle avait dompté et rallié Gohier, qui lui faisait la cour.
Telle fut la raison pour laquelle il remisa ses projets de divorce et se mit au lit avec elle.
C’était le lit de son avenir.
Incidemment, le meuble était singulier, témoignant de l’ample imagination de MM. Jacob : il était composé de deux lits jumeaux qu’on pouvait séparer ou rapprocher par un jeu de ressorts.
Sans doute les célèbres ébénistes étaient-ils informés des rumeurs sur leurs clients, à moins qu’ils ne fussent instruits des intermittences du coeur.
19
Les pastis et les grimaces de Brumaire
Joséphine put respirer. Elle avait surmonté l’orage. Cependant, elle en avait assez entendu lors de ses dîners mondains pour deviner que les suites politiques du retour de son époux ne seraient pas légères. Aucune lettre de la fin 1799 – il y en eut étonnamment peu – ne fait état de ses sentiments, ce qui est peut-être en soi-même révélateur : un indiscret lui avait sans doute révélé que Napoléon ouvrait sa correspondance, comme il s’en targua à Sainte-Hélène. Plus une seule lettre à Hippolyte Charles. Les demandes écrites d’intervention à des autorités en faveur d’un tiers ne reprennent qu’en 1800. Mais les déjeuners et dîners qui se succédèrent rue de la Victoire après le retour de Bonaparte la tenaient au fait des tractations politiques en cours. La mission d’information de Bonaparte ne s’arrêta pas à la visite chez Barras. Dès le lendemain, il se rendit chez son frère Joseph à Mortefontaine. On ignore ce qui s’y dit mais, d’après les péripéties qui suivirent, l’entrevue fut consultative, aucun plan de prise du pouvoir ne fut arrêté. Tout au plus Bonaparte apprit-il que Bernadotte avait adressé un message au Directoire exigeant son arrestation immédiate pour désertion de son armée.
La nouvelle de sa présence à Paris était officielle ; il fut convoqué le 17 octobre (25 vendémiaire) devant le Directoire, le Conseil des Anciens et celui des Cinq-Cents. Si sa réception fut conforme à son rang, l’accueil que lui réserva le premier fut contrasté : le général Moulin évoqua évidemment les sanctions qui s’imposaient en cas de désertion : arrestation et cour martiale. Barras fut cordial, Gohier, paterne, Ducos, Moulin et Sieyès restèrent réservés.
Mais il en sortit indemne.
Le Conseil des Anciens et son président, Lemercier, écoutèrent son discours sans manifestations particulières, favorables ou hostiles, visiblement impressionnés par l’autorité nouvelle du général ; il n’était plus le jeune homme hâve qu’ils avaient connu ; il avait forci, il
Weitere Kostenlose Bücher