Joséphine, l'obsession de Napoléon
était hâlé, ses cheveux étaient coupés court et il portait à la ceinture un étrange sabre courbe, un yatagan enlevé à un officier ottoman. Son ton était plus ferme et son accent moins accusé.
L’apparition devant les Cinq-Cents fut un peu plus mouvementée : un député se leva sur-le-champ pour demander que le général Bonaparte fût immédiatement traduit en cour martiale, mais la présence de Lucien, président de cette assemblée, évita d’autres débordements. Bonaparte se présenta en soldat défenseur de la République et sans esprit de parti. Il évoqua ses victoires en Égypte et le courage de ses soldats dans les épreuves des déserts.
Celle de la comparution devant les assemblées, en tout cas, s’était bien déroulée. Mais Bonaparte ne pouvait imaginer comment s’effectuerait un coup d’État et encore moins le rôle qu’il y tiendrait. Il ignorait quels étaient les Directeurs qui y seraient favorables. La situation était paradoxale : si certains, dont ses frères, le considéraient comme le sauveur de la République, il considérait, lui, que le coup d’État serait son sauveur. Car les dépêches sur la désastreuse situation en Orient n’étaient pas encore arrivées à Paris, et, quand elles le seraient, son prestige en souffrirait à coup sûr. Or d’autres généraux que Sieyès n’avait pas encore pressentis, pourraient le supplanter, tels Ney ou Masséna.
Il fallait donc agir vite.
Sur le conseil de Lucien, il demanda à être reçu par Sieyès, décrit comme l’âme du complot ; il fut vexé que les portes du Directoire n’eussent pas été ouvertes à deux battants, comme il convenait pour un héros de la République. Bonaparte y conçut de la méfiance et même de l’aversion pour Sieyès, « ce prêtre cadavéreux » qui le traitait de haut. C’était celui-là qui requérait son soutien pour le coup d’État ?
Et là commencèrent ce qu’il faut bien appeler les pastis de Brumaire, bien qu’on ne fût encore que le 25 vendémiaire.
Le soir même de cette entrevue fâcheuse, le 17 octobre donc, Gohier donna un grand dîner en l’honneur du général Bonaparte. Tout le Directoire y était, plus diverses notabilités. Sieyès était assis presque en face de Bonaparte. Or, celui-ci évita de le regarder pendant tout le repas. Sieyès le remarqua évidemment et s’en vexa ; il se leva tout de suite après le dîner et déclara à l’oreille de Gohier, avant de prendre congé ;
— Avez-vous remarqué le comportement de cet insolent petit bonhomme avec moi ? Nous aurions dû le faire fusiller.
Joséphine l’entendit, mais ne le répéta pas.
En dépit de l’hommage manifeste qu’avait été le dîner, Bonaparte estima que Gohier ne le soutenait pas avec l’ardeur nécessaire. En effet, il fut une nouvelle fois convoqué par le Directoire, cette fois pour y répondre à des questions sur la fortune qu’il aurait ramenée d’Italie et pour recevoir un blâme pour l’abandon de son armée en Orient. Il protesta que tous les biens saisis en Italie avaient été adressés à ce même Directoire et qu’il n’en avait rien gardé pour lui-même. Ce fut alors que Gohier, croyant sans doute bien faire et éloigner le général des critiques qui s’élevaient à Paris, lui proposa la direction d’une des armées qui se battaient victorieusement sur tous les fronts.
— Le Directoire souhaite que vous choisissiez celle de ces armées que vous préférez commander, déclara-t-il.
Bonaparte prit la mouche : comment, on voulait l’éloigner de Paris ? Il allégua que les grandes fatigues de la campagne d’Orient n’étaient pas dissipées et qu’il avait besoin de repos.
Il regagna la rue de la Victoire dans un état de nerfs inquiétant et s’alita vraiment. Le dévouement et les soins de Joséphine, qui avait fait revenir Hortense et la jeune tante de celle-ci, Caroline, de chez Mme Campan, n’y changèrent rien. Il était tour à tour déprimé ou furieux.
Il invita Ducos rue de la Victoire, comptant sur le charme de Joséphine pour l’adoucir ; il évoqua avec lui la nécessité de refondre la Constitution ; Ducos temporisa, alléguant que ces choses-là méritaient réflexion.
Et le temps filait.
Le 30 octobre (8 brumaire), Barras vint à son tour dîner rue de la Victoire. En dépit de préliminaires prometteurs, les deux hommes étant d’accord sur la nécessité de réformer la Constitution, l’entretien prit
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