Joséphine, l'obsession de Napoléon
son égard.
Il avait même pratiquement banni une dame dont la réputation était fort honorable, Mme de Château-Renaud. La raison en était qu’elle lui avait semblé, quand il la voyait rue de la Victoire, lire dans ses pensées ; il la craignait donc.
— Je ne serai pas gouverné par des putains ! s’écria-t-il, un jour qu’on lui faisait observer qu’il avait banni de son entourage les dames d’antan.
Les seuls visiteurs admis dans ses appartements devaient montrer un billet ovale, signé de Bonaparte lui-même. Quand Joséphine sortait, elle devait être accompagnée d’Hortense.
Le palais du Luxembourg redevint pour elle la prison qu’il avait été.
Le prestige qui eût dû rejaillir sur elle fut maigre : l’homme qui avait jadis distribué les portraits en médaillon de sa femme aux généraux de la campagne d’Italie ne se montra pas une seule fois avec elle en public. Pendant les premiers jours au palais du Luxembourg, elle ne vit guère son époux ; il était absorbé, disait-il, par la rédaction de la nouvelle Constitution. Mais
Sieyès n’en avait-il pas établi l’essentiel ? C’était justement là que le bât blessait : Bonaparte ne voulait pas de la Constitution de l’ex-abbé, il en voulait une qui lui laissât l’aisance des mouvements ; on eût pensé qu’il identifiait l’acte fondateur de la République avec une redingote, n’était qu’il avait précisé que « toutes les Constitutions devraient être courtes et obscures ». Les délibérations paraissaient le tourmenter : pendant les séances, il se rongeait les ongles ou tailladait les accoudoirs de son fauteuil avec son couteau de poche.
Mais enfin, fin décembre, une ultime version du texte agréa à la commission chargée de l’approuver. De fait, elle fut dictée au commissaire François Daunou, un prêtre lui aussi, mais assermenté celui-là :
— Citoyen Daunou, prenez la plume et asseyez-vous là, lui ordonna Bonaparte.
Il fallut désigner aux votes un Premier consul. Sieyès s’était cru désigné pour le titre ; il en fut pour ses espoirs : Bonaparte rassembla la majorité des suffrages, emporta le titre pour dix ans, avec le droit de désigner un deuxième et un troisième consuls, Régis Cambacérès et Charles Lebrun, dont les fonctions seraient purement consultatives. Bref, il détenait le pouvoir absolu. Sieyès reçut en lot de consolation la présidence du Sénat ; il aurait été, avec Barras et Lucien, l’un des hommes qui avaient tiré les marrons du feu pour le petit général corse.
Joséphine n’apprit ces choses que de façon succincte de bouche de son époux : elles lui serviraient à organiser la politique de ses soirées et à connaître, par exemple, ceux des invités qui devaient être l’objet de ses attentions et de ses grâces. Le détail lui fut servi par son complice Fouché, du moins quand ils parvenaient à s’entrevoir. Leur intelligence mutuelle remontait au temps de Barras ; elle fut renforcée par la nécessité : depuis l’éclipse d’Hippolyte Charles, de Barras et des Bodin, il était le principal canal par lequel elle pouvait encore percevoir des bénéfices du marché des armées et payer elle-même une partie de ses dettes sans encourir les colères de son époux. De plus, Fouché disposait des fonds considérables qu’on pouvait amasser au ministère de l’Intérieur, non seulement dans les marchés de l’armée, mais encore dans la taxation des salles de jeu et des tripots. Pour lui, elle était une oreille dans l’intimité relative de Bonaparte et une alliée dans sa lutte contre de dangereux rivaux, Talleyrand et Lucien.
Ce dernier avait été le grand atout dans le coup du 18 brumaire. Il en avait attendu une récompense, le ministère de l’Intérieur, mais, à la première réunion du premier consulat, Bonaparte avait fait attribuer le portefeuille à Laplace. Et lors de la désignation des ministres du deuxième consulat, il l’avait donné à Fouché. Un antagonisme souterrain, mais durable, opposait désormais les deux hommes. Le résultat en était que Fouché était l’allié de Joséphine contre le clan Bonaparte.
Fouché connaissait les réseaux par lesquels le Premier consul surveillait sa femme, de même que toute sa famille, d’ailleurs, et le surveillait lui-même, car ils étaient à sa solde ; il savait donc à quelles heures et dans quelles circonstances il pouvait la rencontrer sans que les sbires de
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