Joséphine, l'obsession de Napoléon
celui-ci ; elle rassemblait des kangourous et des gazelles d’Égypte, des autruches, des singes, un orang-outan femelle que son accoutrement en demoiselle ne préserva hélas pas longtemps de la pneumonie…
Le château même avait été agrandi, il va de soi. Si les plans des architectes officiels, Percier et Fontaine, qui avaient prévu de tripler la superficie du bâtiment, avaient été écartés car trop ambitieux, les aménagements n’en étaient pas moins appréciables : ils avaient coûté 600 000 francs. Petits appartements pour les officiers, ailes pour le service, péristyle, pavillons doriques encadrant la grille du parc. Les objets d’ornement, eux, n’avaient rien coûté : ils provenaient des razzias effectuées en Égypte et en Italie, ou bien c’étaient des cadeaux, tels les vases d’Herculanum offerts par le roi de Naples, des sculptures égyptiennes, des bronzes antiques et autres bibelots. Le cabinet de toilette du Premier consul, par exemple, s’ornait simplement de deux dessins, l’un du Pérugin, l’autre de Léonard de Vinci.
Le domaine, en tout cas, avait été considérablement étendu et ne devait cesser de l’être jusqu’au divorce : il absorba la Jonchère, s’étendit jusqu’à la Chaussée, au Clos-Toutain, à l’étang et aux bois de Saint-Cucufa, puis au Butard, où s’élevait un pavillon de chasse, et enfin au château et au parc de Buzenval. Bois-Préau ne devait tomber dans le domaine de la Malmaison qu’en 1809, à la mort tragique de sa propriétaire, une demoiselle Julien, sans doute hostile au consulat.
Les territoires de la Malmaison comprenaient évidemment une ferme, avec des vaches venant de Suisse, et une famille de Suisses en costume national, chargée de fournir le château en lait et en beurre.
Le Trianon de Marie-Antoinette n’avait été qu’une modeste fantaisie en regard de ces folies. Et plus d’un visiteur, peut-être, évoqua l’impertinente observation d’un général républicain après le Te Deum à Notre-Dame :
— La seule chose qui manquait, c’étaient les cent mille hommes tués pour avoir essayé de détruire ce que vous venez de rétablir.
Les fêtes étaient à la mesure de ces fastes.
À la Malmaison, une charmante compagnie égayait les jardins la plupart des journées de la belle saison, jouant des charades ou se livrant à des parties de colin-maillard. À 16 heures, le mamelouk Roustam, dans son pittoresque costume, servait le thé.
Il est malaisé de juger dans quelle mesure les privilégiés qui gravitaient dans cet univers d’élégance et de luxe déjà impériaux étaient dupes de l’illusion de félicité et de puissance éternelle que voulait répandre Bonaparte. Barras écrivait :
Le pays est fasciné par le prestige et la gloire militaire, et il doit se soumettre au despotisme avant que le besoin de liberté soit ranimé.
Une censure de plus en plus sourcilleuse étouffait la presse, et les services de Fouché ouvraient le courrier des intellectuels avec un zèle redoublé. Les lettres de Joséphine, de longue date consciente de cette surveillance, ne portent guère plus que sur des relations de famille ou des recommandations pour tel ou tel citoyen recourant à ses services et à son influence.
Il demeure que la frivolité compassée désormais de mise à la Malmaison et dans les demeures campagnardes des proches du pouvoir servait les intérêts politiques de Bonaparte ; par sa ressemblance avec celle de Versailles, elle amollissait les préjugés de l’ancienne noblesse, dont les émigrés commençaient à rentrer au pays. Bonaparte démontrait que, tout jacobin qu’il prétendît être, ses loisirs ne devaient rien aux ébats avinés de la sanglante populace qui avait terrorisé le pays quelques années plus tôt. Ne faisait-il pas effacer le bonnet phrygien des bâtiments publics ? On pouvait lui faire confiance.
La grâce et le rayonnement de Joséphine contribuèrent donc à affermir le prestige de son époux auprès d’une part grandissante de la population. Beaucoup s’y méprirent, mais elle était en fait un général en robe de crêpe. Les fards et la mousseline sont aussi des armes.
Les jacobins, eux, ne désarmaient cependant pas autant que Bonaparte l’aurait souhaité. Fouché l’en avait prévenu : certaines factions projetaient de renverser le faux triumvirat du consulat, en réalité dirigé par un seul homme, et de remplacer celui-ci par un Grand
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