Joséphine, l'obsession de Napoléon
magnifiques uniformes ; il allait assister à la messe donnée en l’honneur de la nouvelle alliance entre la France et le Saint-Siège. Bien qu’elle s’y rendît dans une voiture sans escorte, Joséphine fut aussi l’objet de la curiosité émerveillée d’un public qui voyait partout les signes du renouveau.
Pour la première fois depuis longtemps aussi, la paix régnait en Europe. Les hommes en armes rentraient du front. La France qui se rebâtissait s’enrichissait. Poussés par la curiosité d’une ville qui avait donné au monde le détestable spectacle d’un martyre de roi, les visiteurs étrangers, Anglais, Allemands, Italiens, Espagnols et autres affluaient. Et se retrouvaient interdits ou scandalisés par les moeurs parisiennes. Ainsi, ces gens-là dînaient couramment à 19 heures ! Et parfois plus tard. Ne dormaient-ils donc pas ? Puis il y avait leur mise. En dépit de la nouvelle décence prônée par Bonaparte, les héritières des merveilleuses n’avaient pas renoncé à leurs décolletés généreux ni à leurs drapés fidèlement moulants. Les coiffures en bouclettes à l’antique et les culottes de nankin également moulant des nouveaux muscadins laissaient pantois plus d’un hobereau de Westphalie ou d’un gentleman du Sussex.
Mais il est vrai que les Français dansaient la valse avec élégance : il fallait au moins leur concéder cela. Ils avaient maîtrisé la fougueuse sarabande germanique, où les messieurs empoignaient leurs dames dans de furieuses et licencieuses girations, et l’avaient transformée en divertissement de bon ton.
Joséphine, elle, avait dépouillé l’abandon cavalier et par moments impudent de l’époque où elle, Fortunée Hamelin et Thérésa Cabarrus défrayaient la chronique ; sans contrarier son naturel, elle l’avait habillé d’une grâce plus sévère.
Ce fut l’âge d’or de la Malmaison et, pour Joséphine, la deuxième des années les plus heureuses de sa vie. Il y en aurait six.
Elle reconstitua autour du château le domaine de son enfance, amplifié par la nostalgie, sans parler d’une prodigalité débridée. Serres et volières se multiplièrent, regorgeant de fleurs et d’oiseaux exotiques. Les courtisans apprirent sa passion naturaliste, ils lui firent envoyer du monde entier, par les navigateurs, végétaux et bestioles inconnus. Une plante produisant des boules de fleurettes bleues, blanches ou roses lui fut ainsi adressée ; Joséphine la baptisa « hortensia » en l’honneur de sa fille. Les volières étaient dignes d’un zoo : vautours et colibris, cacatoès et pigeons des Moluques, dûment séparés, bien entendu, y glapissaient et roucoulaient leur content. Des cygnes noirs et blancs, que le Premier consul soupçonnait d’être importés d’Angleterre, fendaient superbement le miroir de la pièce d’eau en face des appartements des maîtres de maison ; ils suscitèrent un petit drame grotesque. Un matin, Joséphine surprit son époux à une fenêtre du premier étage, les visant avec sa canardière. Elle poussa des cris, versa des larmes, supplia et, à la fin, Bonaparte renonça à sa partie de chasse impromptue.
Ç’aurait peut-être été sa vengeance contre un certain style anglais que Joséphine s’obstinait à cultiver. Ainsi, elle avait décidé que les jardins et le parc seraient soustraits à la rigueur des parterres tracés au cordeau et des massifs taillés à la serpe, à la façon de Le Nôtre, mais qu’ils seraient arrangés à la mode d’outre-Manche, en bosquets et buissons.
Le point fut remarqué par le Premier ministre anglais, Charles James Fox, quand il rendit visite aux Bonaparte, en 1803. Il écrivit dans son journal :
Mme Bonaparte nous a fait les honneurs de ses jardins avec cette affabilité séduisante qui justifie aisément l’attachement du Premier consul pour elle. Le parc est dessiné dans le goût des nôtres : plus de ces lignes imposées à la verdure et aux fleurs.
Fox avait compensé ces aménités mondaines par des réflexions beaucoup moins galantes sur le maquillage de Joséphine, qui « repose sur un grand usage du rouge en raison de la grande différence d’âge entre elle et son mari ».
Les six années d’écart, que l’un et l’autre avaient tenté de dissimuler lors de leur mariage, semblaient en effet se creuser avec le temps.
La ménagerie, visible du cabinet du Premier consul, au rez-de-chaussée, n’inspira cependant pas d’humeur à
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