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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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maman ? fait Mme Seguin qui nous sert à table. Je n'y ai même pas touché !
La vieille continue :
- Nous sommes du même âge avec M. Charcot. Nous avons causé.
Ce « Nous avons causé » ennoblit sa vie. Sa fille, un type redouté, une sorte de Madame Angot d'affaires, un type de Léon Cladel, qu'elle dit avoir connu, âpre, autoritaire et bavarde.
    Tiendrait le crachoir dans un salon. Ici, parle avec distinction, fait de l'esprit, des phrases, au milieu des rouliers, et jouit de ses succès. Dit :
- Nous avons eu un monde, la semaine dernière !
Et dira tout à l'heure, en faisant sa note :
- Dame ! Il passe si peu de monde ici ! On se rattrape.
Parle de Charcot comme de sa famille. Elle regrette moins son mari, « dont la maladie lui a pourtant coûté plus de cent mille francs », que cet homme célèbre.
Quand un cheval pète en sortant de l'écurie, c'est bon signe : il marchera bien. Le nôtre bat le briquet avec ses fers, et ce bruit me berce. Parfois, il s'arrête. On attend qu'il pisse, qu'il fasse quelque chose. Mais, rien. Il repart. Il ne s'arrête peut-être que, parce que traversé d'une lueur de raison, ça l'agace de nous tirer ainsi sans fin.
Des nuages traînent sur le Morvan. La nue essaie des écharpes. Celle-là ne va pas : à une autre ! C'est toujours un étonnement de rencontrer des êtres là où nous ne vivons pas.
Chez Mme Seguin. Notre carpe, dont le fiel avait crevé, était amère à nous faire verdir. Cependant lorsque Mme Seguin nous dit : « Comment la trouvez-vous ? Elles sont renommées, les carpes des Settons ! » aucun de nous n'eut l'audace de la contredire ; et deux pauvres vieux qui mangeaient à la même table que nous pensèrent sans doute : « C'est un goût que doivent avoir les carpes renommées », tant Mme Seguin inspire de crainte.
    Elle a fait une maladie de la mort de Charcot ; elle est même un peu brouillée avec ceux qui l'accompagnaient, parce qu'elle trouve qu'on n'a pas rendu à cet homme les honneurs qu'il méritait.
Des maisons qui n'ont pas de voisins, avec des fenêtres qui n'ont pas de rideaux.
Il me suffit de voir au bord du lac une grosse fille - si rouge que, si on lui donnait un coup d'aiguille, il en sortirait en abondance de l'eau rougie - pour que je rêve de vivre avec cette fille au bord de cet étang.
Et cette cabane de cantonnier, un rocher à peine creusé, n'y serais-je pas mieux que dans ma maison ?
10 juillet.
La peur de la mort fait aimer le travail, qui est toute la vie.
Son cimetière. Des coquelicots, de hautes herbes où les perdrix viendront se remiser. Un long ver sort de la terre remuée. Quelques fourmis. A chaque instant j'oublie qu'il est là, que je marche sur lui.
Si loin que la vie m'égare, la mort me ramènera près de lui.
Nous lui avons fait comme une petite cage de bois blanc.
Déjà je peux retenir ma part de terre.
Assis à l'ombre étroite du mur, je tâche de me le rappeler.
    J'use son souvenir.
Les fleurs deviennent laides sur une tombe, comme de vieilles enseignes de mauvais cabarets.
13 juillet.
Sa tombe ne m'attriste pas, sans doute parce qu'il y est. Mais, quand, de la route, je regarde la maison où il s'est tué, sa maison, et que je ne le vois pas, de dos, assis sur son mur, les bras croisés, et que je ne vois pas sa barbe blanche sous son chapeau de paille, je suis triste qu'il n'y soit plus.
Maurice me dit :
- Un jour, je te ferai le coup. Je me mettrai à sa place sur le mur.
Et s'il s'était manqué ? S'il ne s'était qu'abîmé ? S'il n'avait pas eu la force de se tirer le second coup ? S'il m'avait crié, avec du sang et des larmes dans la bouche : « Achève-moi ! » Qu'aurais-je fait ?
Aurais-je eu la grandeur de prendre son fusil, ou de l'étouffer en l'embrassant ?
16 juillet.
Il disait de sa petite bonne :
- Je ne la changerais pas pour une princesse.
Baïe disant avant sa mort :
- Si on lui achetait quelque chose, à grand-père ? Une couronne...
Mon père (21 mai. Recopié.) En m'approchant de son lit pour l'embrasser, je mis les pieds dans le pot.
    Le temps de regarder ce que j'avais fait et de dire « Oh ! » et mon baiser s'était refroidi. Ma surprise de le voir mieux.
- Il faudrait promener une bassinoire dans la chambre, disait-il, ou brûler du sucre pour chasser l'odeur.
- On s'y habitue, dit Maurice.
- On s'habitue aussi à l'odeur du sucre, dit doucement mon père.
Moitié de cuillerée à bouche toutes les trois heures, sauf selles diarrhéiques.
En ma qualité d'homme de lettres,

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