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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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il ne fait rien, rien. Il arrange seulement des pages en un beau désordre quand on vient le voir ; sur ces pages, il n'y a rien, que quelques gribouillis de dessins, et elles ne se suivent même pas.
Un grand médecin est venu. On ne sait pas. Neurasthénie, asthénie. Elle souhaite qu'il ait une bonne maladie. On lutterait. On le sauverait. Il serait guéri. Mais, ainsi, il a l'air d'un mort.
- N'a-t-il pas quelque amour ?
    Elle le désirerait, et, si elle connaissait une femme capable de le faire revivre, elle la jetterait dans ses bras. Et la pauvre petite femme s'en va pleurant. Il joue avec des couteaux, des armes, des bouteilles, des verres. Il manie des objets de mort.
- Oui, dis-je. S'il était mort, ce serait intéressant de parler de ça, mais il a le défaut d'être encore vivant, si peu qu'il le soit, et, alors il n'est qu'insupportable. Il est lâche pour vous, pour ses enfants, pour ses amis. Il faudrait qu'il eût à gagner votre pain, pauvre petite femme.
- Il ne le gagnerait pas. Il nous laisserait tous mourir de faim, car je connais son peu d'énergie, et elle décroît. Elle sera bientôt réduite à rien. Ses abattements sont de plus en plus fréquents et prolongés et il remonte de moins en moins haut.
Il n'y a là ni gaîté, ni philosophie. Il n'y a que de la tristesse mystérieuse, et de la douleur sans raison.
- Pourquoi ne fait-il pas de la littérature avec tout ça, comme Byron, Musset, Lamartine, et d'autres ?
- Il n'a même plus cette petite vanité-là.
Est-ce qu'il va mourir, et que j'aurai le regret de n'avoir pas pénétré au fond de cette âme charmante et trouble ?
On comprend toujours trop tard. Ah ! malheur aux heureux !
Et, tout à l'heure, comme un imbécile chronique, je demandais des héritages !
    Je regrettais de n'avoir plus de billets de mille, etc., etc. Pauvres fous, tous, tous !
Et, pensant à toutes ces choses, je ne peux plus lire ni écrire. Il faut que je me lève, que je marche et me secoue, que je donne du jeu au filet de mes nerfs qui souffrent d'être trop tendus.
13 février.
Courteline dit :
- Il faut battre une femme quand il n'y a pas d'autre moyen de la faire taire. C'est très joli, de dire : « Moi, je prendrais mon chapeau, ma canne, et je m'en irais ! » Mais ça ne se passe pas ainsi. Ça va encore dans la journée. On retrouve des amis au café, on cause, on joue ; mais, le soir, où aller ? Moi, d'abord, je ne peux pas passer la nuit dans ces hôtels où il n'y a pas de pendules. Je veux savoir l'heure, et je ne dors pas. Et je rentre chez moi, rien que pour savoir l'heure.
- Alphonse Allais, un Démarque Twain, dit Veber.
- C'est une plaisanterie des peintres, dit Jean Veber, que le modèle ne trouble pas. Moi, le modèle me trouble beaucoup, et c'est fort gênant.
Et moi, je suis si gêné que je ne le salue même pas, le modèle, et que je ne le regarde qu'à la dérobée ; et je sens son regard sur moi.
Je ne suis pas bourgeois, mais je me sens quelques vertus de la bourgeoisie.
Vers la clarté par n'importe quel chemin.
    L'orgueil d'une femme qui a reçu beaucoup de confetti.
C'est l'heure de grazieller.
Une grenade qui rit comme un nègre.
Il y a trois de nos rois que je n'ai jamais pu me fourrer dans la tête : Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe. Je les confonds. Impossible de les débrouiller. Parfois, à l'aide de mon petit Larousse, je les remets chacun à sa place, puis, c'est le désordre. Tout est à recommencer.
20 février.
Dîner Alphonse Allais. Ce bohème qui a passé sa jeunesse et pas mal de sa maturité dans les cafés et les hôtels meublés, le voilà rangé, dans un appartement de 3 500 francs. Il y a une baignoire avec de l'eau chaude en tout temps. Les visiteurs n'ont qu'à tourner le robinet pour se brûler. Il a une cuisinière, un groom, qui s'appelle Gaëtan, qui apporte les lettres sur un plateau et dit timidement : « Madame est servie. »
- Veux-tu pas rire quand tu dis ça ! lui dit Allais.
Il a des meubles qu'il est allé acheter en Angleterre, élégants et fins, admirablement compris, dit Gandillot qui s'assied sur une chaise, laquelle aussitôt craque d'une manière inquiétante. En attendant les suspensions, les boules électriques luisent dans du gui. Gui à tous les étages.
Et moi aussi, j'aurai un appartement de riche, et je le paierai plus de 3 500 francs ! Mais non : j'aurai une cabane de cantonnier.
    Et tout vient d'Angleterre : les verres, les salières, le potage aussi, car il est bien froid, et

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