Julie et Salaberry
nâétais pas dans la pièce. Quant à vous, père, avouez que mère a raison. Salaberry a eu droit à toutes vos attentions. Plus que je nâen ai jamais reçues de votre part.
Bouleversée, elle fit mine de sortir, mais son père lui barra le chemin.
â Tu vas immédiatement écrire à Salaberry pour lui dire que tu acceptes sa demande.
â Ah non! se rebiffa Julie. Câest hors de question!
â Pas de discussion, tonna le colonel en attrapant le bras de sa fille. Câest un ordre!
â Laissez-moi! hurla Julie en voulant se libérer de la poigne encore solide du père.
Elle réussit à passer la porte, mais trébucha, aveuglée par les larmes. Ils ne tentèrent pas de la retenir et elle sâengagea dans lâescalier. Mais avant de monter, elle se retourna, dans un ultime élan dâaffirmation.
â Je demande du temps et je le prendrai.
â Puisque câest comme ça, je lâécrirai moi-même, cette damnée lettre! sâemporta le colonel.
â Câest ma réponse quâil attend, pas la vôtre!
Le colonel serra les poings. Il était allé trop loin, mais il refusait de perdre la bataille.
â Je tâinterdis de sortir de cette maison tant que tu nâauras pas accepté la demande en mariage de Salaberry. Jâai dit!
â Petite ingrate! Quand je pense à la difficulté que nous avons eue pour rassembler ta dot, dit alors madame de Rouville.
â Ma dot? Que voulez-vous dire? se troubla Julie. Salaberry mâépouserait pour ma dot?
Tout cela était trop sordide, à lâopposé de ses espoirs et de ses rêves, et elle tourna le dos à ceux qui avaient réussi à tout gâcher.
Julie regagna sa chambre avec tristesse. Ce jour, qui aurait dû être parmi les plus beaux de sa vie, sâétait transformé en cauchemar. Elle fit un effort incommensurable pour se rappeler uniquement le beau visage de Charles et lâintensité de son regard lorsquâil lui parlait. Sa tristesse, en évoquant son frère disparu, semblait si sincère. Elle ne pouvait mettre en doute ce qui sâétait dit dans le petit salon.
Ãpuisée par ce trop-plein dâémotion, elle voulut se reposer en sâallongeant sur son lit. Quelque chose lâincommoda. Dans son corsage se trouvait la lettre découverte sous le sofa. Quâest-ce que cela pouvait être? Elle déplia la feuille. Quelques lignes raturées, le brouillon dâune lettre bonne à jeter, ce quâelle sâapprêtait à faire lorsquâelle reconnut lâécriture de Charles. De grands passages étaient rédigés en anglais. Comme elle connaissait les rudiments de cette langue, elle entreprit de la déchiffrer. My dear father , lut-elle. Ainsi, Charles écrivait à son père en anglais. Ce fait lui arracha un sourire attendri. Elle reprit sa lecture et traduisit:
La mort de François mâa bouleversé, mais elle a mis fin à mes hésitations. Il nây a quâune façon pour moi de vous consoler. Je cède à vos instances et pars demain pour Chambly demander la main de mademoiselle de Rouville. Je ne doute pas de lâapprobation de monsieur et madame de Rouville, puisque nos familles souhaitent ce mariage et se sont accordées. Par contre, mademoiselle de Rouville semble tout ignorer de ces ententes et je crois que câest mieux ainsi. Je préfère quâelle croie que je me suis attachée à elle depuis que je la connais. (Ici, plusieurs mots raturés étaient illisibles.)
Il est certain que la dot de mademoiselle de Rouville me permettra dâavantager ma situation. Je suis persuadé quâelle accueillera favorablement ma demande, car jâose croire quâelle a fini par sâéprendre de moi. Et moi, je me sens bien avec elle. (Dâautres mots raturés.) Vous avez eu raison autrefois de mâempêcher dâépouser Mary. Ma passion immodérée pour cette cousine mâaurait mené à la ruine. En épousant mademoiselle de Rouville, câest la raison qui dicte au cÅur etâ¦
La lettre sâachevait là .
⦠câest la raison qui dicte au cÅur. Ainsi, câétait vrai! Salaberry voulait lâépouser pour sa dot. Comment avait-elle pu penser quâil avait des sentiments pour elle? Elle avait presque cru à son
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