Julie et Salaberry
battait à tout rompre. Permettez que je prenne le temps dây réfléchir.
Immédiatement, le visage du jeune homme exprima une intense satisfaction. Il saisit sa main et la pressa sur sa poitrine.
â Mon ange, dit-il en lâappelant ainsi pour la première fois. Je vous ai bousculée et surprise, je le comprends, mais je repars le cÅur rempli dâespoir. Votre réponse définitive ne saurait tarder â dâailleurs, je la connais déjà  â, mais je sais que vous choisirez des mots pleins de cette délicieuse sensibilité féminine que vous incarnez à merveille. Ah! Julie, épousez-moi! Je sais ce quâil vous faut pour votre bonheur. Et par conséquent, vous ferez de moi un homme heureux. Votre père a déjà consenti à notre mariage, poursuivit Charles, rempli dâenthousiasme. Et ma famille! Oh, Julie! Imaginez seulement la joie que nous pouvons leur donner, après⦠la triste nouvelle que vous savez. Je reviendrai vous voir dès que possible, dès quâil fera beau. Vous mâécrirez bientôt, nâest-ce pas?
â Oui, Charles, répondit Julie, étourdie et remuée par tout ce quâil disait.
Elle parvint à se relever, avec toute la dignité dont elle était capable, comme pour lui signifier la fin de leur entretien. En réalité, elle se sentait faiblir, mais elle nâallait tout de même pas sâévanouir, même si cela aurait été approprié, dans les circonstances.
Salaberry lui sourit, à la fois heureux de ses réponses et soulagé. Lâofficier avait retrouvé son assurance et éprouvait soudain la nécessité dâêtre seul: il lui fallait bouger, sortir au grand air pour dissiper les restes dâangoisse. Il étouffait dans cette petite pièce. Plus tard, lââme apaisée, il repasserait tous les détails de leur conversation, revoyant en pensée chacune des expressions de son visage.
Avant de la quitter, Charles saisit la petite main de Julie où il posa ses lèvres, sâattardant avec insistance. Puis, la retournant, il baisa longuement son poignet délicat. Elle tressaillit à cette caresse inconnue, une sensation nouvelle, indéfinissable et profondément troublante. Il lâembrassa encore.
â Je vous prie de présenter mes excuses à vos parents, je dois partir immédiatement.
Sans se retourner, il sortit de la pièce.
Ahurie, Julie demeura immobile, figée par lâémotion.
Salaberry réclama son cheval, quitta précipitamment le manoir et une fois sur le chemin du Roi, lança sa monture au galop. Il venait de jouer son va-tout, mais en sâéloignant, il avait le cÅur plein dâespoir. «Elle acceptera, se répétait-il. Elle ne peut faire autrement quâaccepter, parce quâelle comprendra que je suis ce qui peut lui arriver de mieux.» Julie allait bientôt atteindre lââge où les possibilités de faire un bon mariage sâamenuisaient et il venait lui offrir ce dont elle rêvait sûrement: un mari avec qui elle fonderait un foyer.
Arrivé à un point où le chemin du Roi se divisait, lâofficier dirigea son cheval vers lâancienne route qui passait derrière la demeure des Rouville, plutôt que dâemprunter la petite rue du faubourg Saint-Jean-Baptiste. Câétait un vieux chemin peu achalandé, qui reliait autrefois les forts de Chambly et de Sainte-Thérèse, remplacé depuis nombre dâannées par le «chemin neuf» que les habitants appelaient aussi «chemin dâen haut». Plus pratique, cette nou-velle route contournait les habitations du faubourg Saint-Jean-Baptiste et lâancien moulin des seigneurs de Niverville, pour se rendre à Saint-Jean, petit bourg situé à quelques lieues de Chambly.
Lâancien chemin nâétait donc plus fréquenté que par les résidants du faubourg. Les domestiques venaient y puiser de lâeau fraîche, la plus pure quâon puisse trouver dans la région. Mais les vieux habitants se méfiaient toujours de lâonde traîtresse qui réclamait régulièrement son tribut. Plus dâun y avait trouvé la mort, emporté par lâimpitoyable courant, tandis que dâautres sây étaient jetés, attirés dans ses tourbillons par quelque maléfice, ou un accès
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