Julie et Salaberry
confortable à laquelle vous avez droit?
â Je nâai pas pensé à tout cela. Mais quâimporte! Je vous aime, avoua-t-elle avec une intensité qui lâébranla.
«Ai-je été aveugle à ce point?» sâinterrogea-t-il, plus effrayé quâému par lâardeur de ses sentiments.
â Julie, croyez-moi, vos révélations me touchent. Mais je vous en prie, ne prononcez plus ces mots.
â Il mâépouse pour ma dot! Une alliance entre nos familles, dit-il. Il ne mâaime pas. René, implora-t-elle, aimez-moi! Aimez celle que je suis! Je sais que vous le pourriez. Vous nâavez que faire dâune dot ou dâune alliance avantageuse.
René, qui était toujours à ses genoux, se releva pour tirer une chaise et sâasseoir près dâelle. Il comprenait sa douleur. Avoir le sentiment dâêtre un simple objet de marchandage, câétait⦠sordide. Pourtant, lui-même avait cru Salaberry sincèrement attiré par elle. Surtout après lâaltercation de lâautre jour, chez Dillon.
Julie sâétait mise à pleurer. Quelle désespérance dans ses yeux noyés de larmes qui tombaient sans retenue, mouillant son mouchoir et ses gants. René aurait voulu la reprendre dans ses bras pour la consoler, mais il craignait de la blesser davantage et lui tendit son propre mouchoir.
â Prenez. Je vous en prie, cessez vos pleurs, chuchota-t-il, se voulant apaisant.
Julie se tamponna les yeux. Elle hoqueta, puis respira profondément et fit mine de se lever, résolue à partir. Mais il lâobligea à rester assise.
â Je ne vous laisse pas repartir ainsi. Vous êtes si pâle! Vous êtes venue à pied, nâest-ce pas? Sinon jâaurais vu votre calèche. Certes, vous nâavez pas la force de rentrer chez vous dans cet état. Et dâabord, il nous faut parler.
â Je suis plus forte que vous ne le croyez, affirma-t-elle, même si sa voix brisée disait le contraire. Je me suis ridiculisée. Je vous en prie, oubliez que je suis venue.
â Quel homme ingrat serais-je si jâoubliais votre visite! Elle comptera au contraire parmi mes plus chers sou-venirs, comme un cadeau précieux offert par une femme de cÅur. La sincérité nâest pas ridicule, Julie. Bien au contraire.
Elle baissa les yeux. Tout à coup, il fut pris du désir irrésistible de la protéger, de répondre à ses vÅux pour sâenfuir avec elle, loin de Chambly, loin de Marguerite. Il releva son visage et, à son tour, posa ses lèvres sur les siennes. Avec quelle fougue elle répondit à ce baiser! Mais entre eux, il ne le savait que trop, rien nâétait possible et il se dégagea doucement.
â Ne doutez jamais de vous, Julie, dit-il. Vous avez tout pour vous faire aimer dâun homme.
Cette fois, câest lui qui avait la voix rauque. Il voulait sâexcuser de son geste, comme sâil avait profité dâun moment dâégarement, mais il nâen fit rien, car câétait faux. Elle venait de le séduire par sa détresse. Lui affirmer le contraire serait une insulte. Il fit quelques pas pour sâéloigner de cette soif dâamour quâil ressentait chez elle et qui, malgré tout, lâattirait. Mais il lui fallait impérativement la ramener à la raison. Ce nâétait pas dâun preux chevalier dont elle avait besoin, mais dâun confident prononçant des paroles rassurantes et raisonnables.
â Si je répondais à vos vÅux, une fois les premiers émois passés, nous nous ferions mutuellement des reproches qui détruiraient tout. Songez à la colère de vos parents, à leur désarroi surtout. Et imaginez ce que lâon dirait de moi! Malgré mes avoirs personnels, on croirait que je veux mâemparer de votre fortune. De mon côté, il y a mes sÅurs, ma mère et même, en dépit de ses rodomontades, mon père: ils ont tous besoin de moi. Je ne peux me résoudre à les abandonner.
Elle le fixait, hagarde, biche poursuivie par un chasseur. Lâécoutait-elle seulement? Il reprit:
â Vous dites que monsieur de Salaberry ne vous aime pas. En êtes-vous si certaine? Câest un homme valeureux, remarquable même, et il a compris quelle femme exceptionnelle vous êtes. Ces hommes dâaction ont tous leurs
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