Julie et Salaberry
faire ça?
Julie comprit que pour ses parents, tout était décidé depuis longtemps, les sentiments de la principale intéressée ne pesant pas lourd dans la balance. Exprimer, ne fût-ce que lâombre dâune hésitation, sâapparentait à un crime de lèse-majesté. Ils la regardaient comme si elle venait dâinfliger à sa famille le pire des déshonneurs.
Pourtant, le mariage était une chose sérieuse à ne pas prendre à la légère. Certes, Salaberry était un homme plein de mérite qui prétendait ressentir pour elle de lâinclination, mais encore fallait-il que ces sentiments soient partagés. Et puis, inclination ne signifiait pas nécessairement amour. Cet amour lui manquait tant, à elle, Julie de Rouville, alors que son propre père était tombé sous le charme de Salaberry dès le premier jour, au point de souhaiter en faire son fils par alliance!
Quant à sa mère⦠Il nây avait rien à attendre dâelle. Sa mère voyait sans doute dans ce mariage une bonne occasion de se débarrasser dâelle.
â Je vous avais prévenu quâelle était incapable de décider par elle-même, répétait cette dernière à son mari. Mais vous avez insisté pour que cela vienne dâelle. Votre fille⦠dit-elle en pointant Julie du doigt, nâavait pas à se prononcer, elle devait obéir.
â Marie-Anne, calmez-vous! ordonna le colonel à sa femme.
Puis, en se tournant vers Julie, avec un ton plus doux:
â Tu as accepté, nâest-ce pas? Nous avons mal compris?
â Mais non, père, jâai bel et bien répondu que je réfléchirais. Et Charles nâen a pas été offusqué.
â Une oisonne! maugréa madame de Rouville, les yeux furibonds. Aucun bon sens lorsquâil sâagit de soupeser les enjeux. Je me demande comment tu peux faire la fine bouche, se récria-t-elle. Il nâa rien dâun vieillard malodorant! Avenant, beau, jeune, cultivé, intéressant⦠Jamais il ne se représentera un parti aussi avantageux.
Mère et fille étaient aussi éloignées lâune de lâautre que deux continents pouvaient lâêtre. Julie se mit à trembler, comme transie par un vent glacial venu on ne sait dâoù. Dieu et lâÃglise prescrivaient dâhonorer ses parents. Elle obéissait à cette loi, résignée depuis lâenfance à ne plus réclamer leur affection.
Le colonel jeta un regard désemparé sur le visage fermé de la jeune femme.
â Je me rends à vos arguments, dit-il à son épouse en haussant les épaules. Elle est incapable de saisir lâimportance de cette union.
â Mais moi, je crois comprendre, riposta la noble dame. Ce petit notaire trotte depuis trop longtemps dans sa pauvre cervelle.
â Que voulez-vous dire?
â Vous êtes désespérément aveugle! Pourtant, ses airs enamourés pour le fils Boileau sont, pour ainsi dire, de notoriété publique. Même les demoiselles de Niverville croient quâil y a anguille sous roche puisquâelles mâen ont parlé. Si je vous presse tant, câest aussi pour éviter que les rumeurs à ce propos ne prennent trop dâampleur.
â Vous perdez la raison, ma femme, la houspilla Rouville. Le notaire Boileau? Malgré les folies de grandeur du père, le fils a trop de bon sens pour convoiter la main de Julie.
â Jâen conviens, dit madame de Rouville. Ce nâest pas les ambitions du notaire qui me font peur, mais bien lâabsence de jugeote de cette demoiselle, comme elle vient de nous le démontrer avec éclat.
â Mais je ne pouvais accepter sur-le-champ, se défendit fermement Julie. Personne nâa même daigné mâinformer de ces projets de mariage, pourtant déjà entendus par les familles, si jâai bien compris? De quoi suis-je coupable, à vos yeux? Jâai simplement demandé à réfléchir. Il me semble que câest raisonnable.
La colère la gagnait.
â Tout devait se dérouler naturellement⦠reprocha madame de Rouville à son mari. Vous disiez quâil ne manquerait pas de lâéblouir, tout comme il vous a ébloui.
Julie suffoquait et, pour la première fois de sa vie, elle sâaffirma:
â Mère, cessez de parler de moi comme si je
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