Julie et Salaberry
mariage, lui apprit-elle, dâune voix angoissée.
â Je me réjouis de cette excellente nouvelle! dit aimablement René. Permettez-moi de vous féliciter, fit-il en sâavançant vers elle.
Julie sâagitait. Ses yeux erraient dans la pièce, examinant avec un intérêt subit la bibliothèque aux rayonnages garnis dâouvrages juridiques et sâarrêtant devant le recueil de lois civiles Coutume de Paris , de Ferrière, un livre imposant de plusieurs pouces dâépaisseur posé sur un présentoir. Elle évitait ainsi de croiser le regard intrigué de René qui lâobservait en silence.
â Je comprends que vous soyez émue, avança-t-il, pris au dépourvu par son comportement bizarre. Vous venez sans doute annoncer votre bonheur à mes sÅurs?
â Non! coupa-t-elle. Ce nâest pas cela.
â Vous avez besoin dâun conseil? Mais je suis persuadé que monsieur votre père sauraâ¦
â Ah! Taisez-vous! lâinterrompit-elle, hors dâelle.
Elle refusa de nouveau un siège.
â Monsieur Boileau⦠René⦠insista-t-elle, la voix suppliante.
Le notaire tressaillit. Cette familiarité ne lui ressemblait pas. En aucune façon, Julie de Rouville, demoiselle de la noblesse, se serait permis de lâappeler par son prénom. Elle réservait ce privilège à ses sÅurs, Emmélie et Sophie, du même âge quâelle et avec qui elle avait des relations plus intimes.
â Sauvez-moi de ce mariage! Je nâen veux pas.
Et avant même que René ne puisse esquisser le moindre geste, elle fut près de lui, posant ses lèvres sur les siennes. Décontenancé par cette Julie quâil ne reconnaissait pas, René lâenlaça, plus pour lâempêcher de sâeffondrer que pour répondre à son baiser. Elle tremblait, émouvante de fragilité entre ses bras.
â Je vous en prie, épousez-moi, gémit-elle en sâaban donnant.
Désarmé par cet aveu, il se laissa aller à la douceur de ses lèvres, prolongeant le baiser. Mais quâétait-il en train de faire? Il se ressaisit et sâéloigna dâelle avec douceur, se refusant à la brusquer.
Julie devait être au désespoir pour agir ainsi. Il lui était arrivé de croire quâil plaisait à la demoiselle de Rouville, mais il avait refusé de sâinterroger plus avant sur la nature de ses sentiments, conscient quâils possédaient tous les deux un tempérament semblable les portant à se tenir en retrait, à être plus attentifs aux désirs de leur entourage quâà leurs propres besoins. Il éprouvait du plaisir en sa compagnie, voyant là une complicité tranquille qui les poussait tout naturellement à être ensemble, à la manière dâun ami qui se reconnaissait dans lââme de lâautre. Car câétait bien de lâamitié quâil ressentait pour elle, et non pas de lâamour. Ce sentiment profond, il lâéprouvait pour Marguerite Talham, la seule femme quâil aurait voulu épouser, et la présence de cet amour lâempêchait de répondre aux attentes de Julie, ou de toute autre femme.
â Julie. Vous permettez que je vous appelle Julie? Il me semble que les circonstances le permettent, ajouta-t-il, dans un sourire bienveillant.
Il prit ses mains dans les siennes pour la forcer à sâasseoir. Elle tremblait de tout son corps, dépassée par lâaudace inconsidérée de son geste. René posa un genou à terre, sans lâcher ses mains gantées.
â Je ne sais quoi vous dire, Julie. Vous me voyez honoré dâêtre lâobjet de votre affection. Jamais je nâai imaginé un seul instant que vous aviez pour moi de tels sentiments. Jâaurais dû comprendre. Mais je répondrais bien mal à cet honneur en écoutant vos élans.
â Je veux vous épouser, déclara-t-elle avec une fermeté déroutante.
â Tout ceci est insensé, dit-il dâune voix amène. Vous savez bien quâun mariage entre nous est impossible. Songez aux conséquences. Il nous faudrait nous enfuir, partir très loin, dans les Ãtats-Unis ou ailleurs, quitter Chambly et nos familles à jamais. Nous serions mis au ban de la société. Dans de pareilles conditions, comment pourrais-je vous offrir lâexistence
Weitere Kostenlose Bücher