Julie et Salaberry
détresse accourent vers toi, fit-elle, un tantinet moqueuse avant de redevenir sérieuse.
â Ne te moque pas. Son désespoir faisait peine à voir. Jâespère avoir réussi à lui faire entendre raison. Elle a peur de lâinconnu, je suppose, comme bien des jeunes femmes dans son cas. Mais elle devra sây résoudre, sa famille ne lui en laissera guère le choix.
â Sans doute, convint Emmélie. Salaberry appartient à son monde, pas au nôtre. Une évidence à mes yeux et jâespère fortement que dâautres la verront aussi.
Emmélie prononça ces derniers mots sur un ton étrange.
â Que veux-tu dire? demanda René.
â Tu sais bien. Le fils Rouville.
â Oui, câest préoccupant.
â Notre père nâen voit plus clair. Je dois encourager le jeune homme, mâa-t-il ordonné, lâautre jour.
Emmélie revivait la scène. Elle en avait presque les larmes aux yeux. Son père lâavait solennellement convoqué dans son cabinet. Son attitude distante avec le fils Rouville était déplorable. Certains finiraient par le remarquer et les langues sâagiteraient. Une honte qui éclabousserait toute la famille!
â Ne tâinquiète pas, dit René. Les Rouville ne consentiront jamais à ce mariage.
â Tu connais père. Pour quâune de ses filles devienne Rouville, il serait prêt à tout.
â Sâil le faut, je lui dirai la vérité à propos de Marguerite.
â Il refusera de te croire.
â Nous verrons bien, dit René. Je ferai intervenir le curé.
â Le curé?
â Il est au courant.
â Oh! fit Emmélie. Je lâignorais.
â Notre curé a toujours su la vérité, à propos deâ¦
René hésitait. Il nâarrivait pas à trouver les mots, tant il lui répugnait dâévoquer le viol de Marguerite.
â à propos du malheur de Marguerite, lâaida Emmélie.
â Câest ça.
â Jâespère surtout quâOvide finira par se désintéresser de ma modeste personne, dit Emmélie. Je fais tout pour le décourager, mais je crains quelques manigances de sa part. Même le chantage ne le rebute pas. Imagine seulement ce quâil pourrait faire, sâil se savait le père naturel de Melchior.
â Après tout, le fils Rouville nâest pas si bête, finit par dire René en replaçant une plume dans son plumier.
â Je souhaite ardemment, pour notre tranquillité à tous, quâil ne le découvre jamais, dit Emmélie. Autrement, ce serait terrible pour les Talham.
â Le colonel serait profondément choqué. Et il ne pourrait plus regarder le docteur dans les yeux. Cette révélation pourrait très bien signifier la fin de leur vieille amitié. Mais revenons à Julie. Je peux compter sur ta discrétion?
â Bien entendu! Ne sommes-nous pas dans la caverne où se terrent les mystères de Chambly? fit-elle avec une tendre ironie, rappelant le jour où, dans ce même cabinet, tous deux avaient découvert le secret de leur cousine Marguerite.
Pour toute réponse, René tira lentement un tiroir situé sous la table de travail pour en sortir une petite pochette de cuir usé. Enveloppé dans un vieux mouchoir brillait un saphir en cabochon.
â Tu te rappelles? demanda-t-il à sa sÅur.
Ãmue, elle enlaça affectueusement son frère. Lui qui gardait habituellement souvenirs et sentiments dans les replis les plus profonds de son âme, se livrait à elle en toute confiance.
â Tu lâas toujours? Je me demandais ce que tu en avais fait. Tu pourrais revendre cette pierre à bon prix.
Il secoua la tête.
â Jamais je ne mâen départirai. Toi seule sais ce que ce caillou représente pour moi.
â Marguerite. Tu lâaimes toujours, constata-t-elle simplement.
â Je nâai jamais cessé, avoua-t-il en prenant un air distant qui, en réalité, en disait long sur ses sentiments.
â Je sais, dit Emmélie avec bienveillance.
Elle songea à Papineau. Elle aussi devait se préserver dâune déception et plaignit sincèrement René.
â On dirait bien que tu nâas pas de chance avec les femmes.
â Sauf avec mes chères sÅurs⦠répondit-il dans un sourire affectueux.
Emmélie lui envoya un baiser du bout
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