Julie et Salaberry
fragilités, leur talon dâAchille. Un jour, vous découvrirez ses faiblesses et ce jour-là , Julie, vous commencerez à lâaimer. Salaberry a besoin de votre force, de votre courage, bien plus que de votre fortune. Ayez confiance! Vous êtes une femme intelligente et, permettez-moi de le dire ainsi, diablement séduisante. Croyez-moi, Salaberry nâest pas aveugle.
Il arrêta de parler. Lâavait-il convaincue?
Julie semblait sâapaiser, mais elle nâécoutait pas vraiment; elle se laissait bercer par la voix chaude et grave de René qui agissait comme un puissant sédatif. Les yeux fermés, elle prolongeait ces ultimes instants dâintimité, sachant quâil nây en aurait plus jamais dâautres.
â Je vous promets que vous trouverez toujours en moi un ami sincère, ajouta finalement René tandis quâon frappait à la porte.
â René, tu es là ? demanda la voix dâEmmélie.
â Entre, Emmélie, répondit René tout en jetant un regard inquiet à la visiteuse.
Mais Julie sâétait ressaisie en entendant frapper.
Devant la stupéfaction de sa sÅur de le trouver en tête à tête avec Julie, il dit, précipitamment:
â Nous avons la visite de mademoiselle de Rouville.
En la saluant, Emmélie vit tout de suite les yeux rougis de Julie. Les explications viendraient plus tard.
â Vous ne vous sentez pas bien? Je fais préparer du thé, proposa-t-elle.
â Excellente idée, approuva René.
Mais Julie fit signe que non.
â Je dois repartir⦠Chez moi, on ignore que je suis ici.
Elle se tourna vers René, le regard suppliant.
â Si je puis vous demanderâ¦
â Soyez sans inquiétude, nous ne parlerons à personne de votre visite, la rassura Emmélie. Vous pouvez compter sur notre discrétion, ajouta-t-elle avec chaleur.
Julie se redressa. Elle récupéra son réticule posé sur le bureau du notaire et redevint la fière et noble demoiselle de Rouville. René ramassa un épais châle de laine qui avait glissé sur le sol, le déposa sur les épaules de Julie déjà recouvertes dâun manteau et lui ouvrit la porte.
â Je vous raccompagne, offrit Emmélie.
â Inutile, murmura Julie.
Puis, sans se retourner, elle franchit la porte de lâétude et sortit.
Inquiète, Emmélie suivit Julie du regard, la voyant remonter lâallée par la fenêtre.
â Que sâest-il passé? interrogea-t-elle, lorsque la demoiselle fut disparue à lâhorizon. Pourquoi Julie de Rouville est-elle venue pleurer dans ton cabinet?
â Comme tu lâapprendras tôt ou tard, je peux tâannoncer que Salaberry lâa demandée en mariage.
â Oh! sâexclama Emmélie. Ãpouser le pourfendeur de Prussiens!
Elle réfléchit en se tenant le menton, un geste qui lui était familier.
â Elle est fille de militaire et a beaucoup en commun avec monsieur de Salaberry, continua-t-elle. Je dois dire que je mâattendais à cette demande.
Elle révéla alors à son frère que Julie correspondait avec Salaberry depuis quelque temps.
â Mais cela nâexplique pas pourquoi vous étiez tous deux enfermés dans ton cabinet.
â Disons quâelle sollicitait mon aide pour empêcher ce mariage quâelle affirme ne pas vouloir, expliqua-t-il avec un air embarrassé, sans en dire plus.
René était naturellement avare de confessions, de par son tempérament et sa profession, et entre les murs de son étude, les secrets des habitants de Chambly se trouvaient bien gardés.
â Jâavoue ne pas comprendre, mentit-elle, puisquâelle connaissait les sentiments de Julie pour son frère.
â Dâaccord, admit René. Je te dois une explica-tion. Mais promets-moi dâoublier tout ce que je vais te raconter.
Emmélie promit et son frère relata, en omettant toutefois certains détails trop intimes, comment, motivée par le désespoir, Julie lâavait supplié de lâépouser.
â Seigneur! se désola Emmélie. Se précipiter dans tes bras. Il fallait quâelle soit drôlement bouleversée pour en arriver à cette extrémité. Mais jâadmire son courage. Braver sa famille! Voilà où mènent ton charme ténébreux et tes airs de chevalier. Les demoiselles en
Weitere Kostenlose Bücher