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Julie et Salaberry

Julie et Salaberry

Titel: Julie et Salaberry Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Chevrier
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des doigts avant de quitter la pièce et de refermer la porte sur elle.
    René resta immobile devant la porte close. Marguerite, Julie… L’amour n’était pas pour lui. Finalement, il attrapa un lourd manteau de drap chaudement doublé, une longue écharpe qu’il enroula deux fois autour de son cou, ainsi que son chapeau et ses gants. En empoignant sa canne de marche, il annonça qu’il ne fallait pas l’attendre pour le prochain repas. Fidèle à son habitude, il allait marcher pendant des heures. Un jour, il avait parcouru presque tout le vieux chemin qui menait à Longueuil. Il était allé si loin qu’il avait passé la nuit dans une auberge avant de revenir à Chambly, le lendemain, par la malle-poste qui heureusement passait ce jour-là. Marcher, c’était le seul moyen qu’il connaissait pour réussir à évacuer la charge d’émotions qui venait de l’assaillir.

    Avec mille précautions, Julie avait réintégré le manoir familial, en catimini. Puisqu’on l’avait confinée à sa chambre, elle avait emprunté l’escalier de service des domestiques, ne craignant pas d’être dénoncée si l’un d’eux la découvrait. Elle s’était rendue à pied chez les Boileau, ce qui voulait dire qu’elle avait marché une bonne lieue, à l’aller comme au retour, devant les saluts ahuris des villageois qui ne voyaient pas souvent la demoiselle circuler autrement qu’en voiture. Avec pour résultat qu’elle avait crotté ses belles bottines de cuir et maculé de boue le léger manteau qui recouvrait sa jupe dont elle avait également sali l’ourlet, ainsi que ceux de ses jupons. Elle regagnait discrètement sa chambre lorsqu’elle tomba face à face avec Joseph, le domestique de la famille qui la protégeait depuis l’enfance. Joseph avait toujours vécu chez eux. Il était né dans leur demeure, quarante ans auparavant, d’une femme de race noire appartenant à madame de Rouville.
    â€” Vos pauvres bottines, mam’zelle Julie, la plaignit-il en voyant dans quel état se trouvait sa jeune maîtresse. Donnez, je vais les nettoyer.
    â€” Merci, mon bon Joseph, dit Julie en délaçant ses chaussures boueuses.
    â€” Qu’avez-vous, ma p’tite mam’zelle? Vos yeux me disent que vous avez du chagrin. C’est la faute au colonel qui a crié, l’autre jour?
    â€” J’apprécie ta sollicitude, Joseph. Ne t’en fais pas pour moi, mais je t’en prie, ne dis rien à personne de mes bottines crottées et fais monter un peu de bouillon à ma chambre. Si on me cherche, tu diras que je suis indisposée.
    â€” Du bouillon? Mais c’est un repas de prisonnière, ça! Pourquoi pas du pain et de l’eau? Je vous fais préparer un plateau convenant à une demoiselle et je le monterai moi-même.
    Julie le congédia avec un regard reconnaissant. Dans ce grand manoir de pierre, il était bien le seul à lui témoigner une réelle affection. Elle retira ses vêtements. «Ma robe est fichue, découvrit-elle en contemplant les lambeaux de mousseline. Une solide jupe de serge aurait mieux convenu.» La fin mars était le pire temps pour se déplacer à pied.
    Elle enfila les vieux escarpins de soie qui lui servaient de pantoufles et un déshabillé d’intérieur, puis libéra ses cheveux des épingles qui retenaient sa coiffure. Joseph frappa pour déposer sur le guéridon un plateau garni de pain, de beurre, de bouillon chaud avec quelques morceaux de viande, le tout accompagné d’un verre de vin. Il attisa le feu, remit une bûche et promit de revenir dans quelques heures.
    Julie remercia le vieux domestique, heureuse d’être seule. Elle n’avait pas très faim, mais le bouillon chaud la réconforta. Une fois restaurée, elle se dirigea vers la fenêtre qui donnait du côté des rapides. À cette époque de l’année, la débâcle haussait le niveau de l’eau et la rivière tumultueuse se déversait dans le bassin de Chambly en un bruyant fracas. Le cœur de Julie n’en faisait pas moins.
    Du bout des doigts, elle caressa lentement les lèvres qu’avait embrassées René. Était-ce cela, les artifices du démon évoqués par le curé? C’était

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