Julie et Salaberry
toutefois un baiser délicieux qui avait éveillé dans son corps des sensations nouvelles, inattendues. René qui, pourtant, lâavait repoussée⦠René, quâelle devait maintenant oublier. Tout comme Charles, qui lui avait honteusement menti.
La jeune fille sâagenouilla à son prie-Dieu, sachant que la prière apaiserait son âme. «Je vous salue, Marie, pleine de grâceâ¦Â» Les grains patinés de son chapelet nacré glissaient sur ses doigts, au fur et à mesure quâelle enchaînait les Ave et les Pater . Après avoir récité un rosaire, Julie se sentait déjà mieux et savait ce quâelle devait faire. Elle leva les yeux sur une Madone à lâenfant qui ornait le mur et la vue de la sainte image acheva de la consoler. Les mains jointes, elle récita une ultime prière avant de se relever: «Priez pour moi, Marie, sainte mère de Dieu, éclairez mon esprit et donnez-moi le courage dont jâai besoin.»
Un bâillement interrompit ses méditations. Rompue par la fatigue dâune journée éprouvante, Julie enfila une chemise de nuit et, sans même natter ses cheveux comme elle en avait lâhabitude, elle sâécroula sur le matelas de plumes.
Lorsque Joseph revint, Julie avait sombré dans le sommeil depuis longtemps. Le fidèle domestique attisa le feu, puis se retira en refermant soigneusement la porte derrière lui.
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Chapitre 14
La réponse de Julie
Rue Saint-Paul, à Montréal, au quartier général de lâarmée, Salaberry avait terminé son service auprès de Rottenburg et dîné au mess des officiers avant de réintégrer la chambre quâil occupait, à quelques pas de là . Retirant veste, épée et baudrier pour se mettre à son aise, il se retrouva en bras de chemise dans le modeste logement quâAntoine tenait bien chauffé en alimentant un petit poêle.
Salaberry reprit Manon Lescaut, le livre quâil avait promis à Julie de lire. Le style de lâauteur lui plaisait, tout comme lâintrigue, rondement menée à son avis, mais les lamentations du chevalier des Grieux lâinsupportaient. Jamais il nâaurait accepté les misères que Manon faisait vivre à son amant. Dans un ménage, câest lâhomme qui doit porter la culotte! Julie lâavait bien jugé, le personnage du roman avait un caractère très différent du sien.
Il sourit en pensant à celle quâil considérait déjà comme sa fiancée et demanda à Antoine sâil y avait du courrier.
â Oui, major, répondit le domestique. Il est devant vous, dit-il en désignant les lettres sur la table et en priant de tout cÅur pour quâil y ait dans cette malle la lettre que son maître semblait attendre.
Depuis quâil était revenu de Chambly, celui-ci faisait preuve dâune fébrilité pour le moins excessive. Cela avait commencé dès son arrivée. Salaberry sâétait mis à fredonner de vieux refrains français où il était toujours question dâamour, puis à examiner fiévreusement le courrier dès quâil arrivait. Antoine en avait conclu que le major était amoureux. Le temps passant, la belle humeur de son maître avait fini par décroître au point dâépuiser la patience dâun saint et le domestique craignait que le rare mobilier du logis ne subisse les foudres du maître de maison qui rongeait son frein.
Salaberry écarta dâun geste ce quâil savait être des notes ou des factures, comme celle du tailleur Benaïah Gibb, chez qui il avait fait confectionner son nouvel uniforme; dâailleurs, il nâavait pas de quoi payer. Sur lâune dâelles, il reconnut lâécriture familière de son père, missive contenant les habituelles remontrances: ⦠tes lettres se sont sans doute perdues à moins quâelles ne soient en route vers Beauport . Louis de Salaberry dépensait une énergie considérable à distribuer ses recommandations aux uns et aux autres. Il lirait plus tard ce que son père avait à lui dire. Finalement, sur la dernière lettre courait une écriture féminine et délicate quâil reconnut, et son cÅur se mit à battre violemment. Enfin, la réponse de Julie!
Le sceau de cire rouge céda sous ses doigts pressés pendant quâil
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