Julie et Salaberry
récitait mentalement une prière. «Dieu tout-puissant, faites quâelle dise oui!» Il écarta avec précaution les plis du feuillet dâoù tomba une deuxième lettre qui visiblement avait été chiffonnée puis défroissée. Dans sa lettre, Julie nâavait écrit que quelques mots:
Charles,
Si pour vous, câest la raison qui dicte sa loi au cÅur, pour moi, il ne peut y avoir de mariage sans amour.
Vous avez compris que ma réponse est: NON!
Marie-Anne-Julie de Rouville
â Goddamn! hurla-t-il.
Et Salaberry fit une boulette de la lettre avant de la jeter au feu sous les yeux effarés dâAntoine.
â Câest non, et sans aucune explication.
â Je ne peux pas croire quâune dame aussi bien éduquée que mademoiselle de Rouville fasse preuve dâune telle indélicatesse sans raison, major, si je peux me permettre.
â De quoi te mêles-tu? rugit son maître, frustré. Quâest-ce tu peux bien connaître aux choses de lâamour et aux dames? Dâailleurs, ce nâest pas une dame, câest une belle idiote.
â Monsieur! Ne laissez pas la colère vous aveugler ainsi. Je persiste à croire quâil y a quelque chose qui vous échappe. Vous devriez songer à retourner à Chambly pour en avoir lâexplication.
â Jamais! beugla Salaberry. Un Salaberry, dédaigné par une simple demoiselle de campagne, nâira pas la supplier, et encore moins sâagenouiller devant elle!
â Ceci va également au feu, major? demanda Antoine, imperturbable, en montrant à son maître la deuxième lettre. Câétait avec le mot de la demoiselle, mais curieusement, je dirais que câest votre écriture.
â Tu déraisonnes, mon pauvre Antoine. Montre-moi ça!
Et il arracha, plutôt quâil prit des mains du domestique, le papier chiffonné.
â Goddamn! répéta-t-il, catastrophé.
Salaberry avait complètement oublié ce brouillon dâune lettre destinée à son père. Comment ce document sâétait-il trouvé en possession de Julie? Il chercha dans sa mémoire. Par mégarde, la lettre était sans doute tombée de sa poche chez les Rouville. Julie lâavait trouvée et, de toute évidence, lâavait lue.
â Mon cher Salaberry, je crois que vous avez été bien maladroit dâégarer ainsi votre courrier, déclara Caroline de Rottenburg en servant le café.
Salaberry avait porté son désespoir jusque chez les Rottenburg, et lâépouse de ce dernier lâavait immédiatement retenu à souper pour le distraire de sa peine. Il nâavait touché aux mets servis que du bout des lèvres.
Le général observa son aide de camp qui souffrait dâamour puis consulta sa femme du regard: que faire? Salaberry qui nâavait jamais eu froid aux yeux, qui pou-vait en découdre avec son sabre si on lâinsultait. Il lâavait vu serrer fortement les poings pour éviter de répliquer aux provocations dâun aussi haut personnage que le gouverneur. Et voilà quâil sâeffondrait devant le refus dâune demoiselle.
Les Rottenburg se désolaient pour Salaberry, quâils voyaient comme un ami. Eux-mêmes formaient un couple qui sâentendait à merveille, malgré une importante différence dââge. Caroline était dâorigine italienne, la fille dâun général napolitain, Johan von Orelli. Rottenburg lâavait rencontrée dans un de ces pays slaves baignés par la mer Adriatique et il lâavait épousée. Ils avaient maintenant deux enfants, un garçon et une fille, cette dernière nâétant encore quâune adorable bambine de deux ans qui promettait dâêtre aussi jolie que sa mère. Les traits fins du visage de la dame au teint bistré évoquaient une lointaine origine orientale tout comme son abondante chevelure noire et épaisse. La silhouette souple était mise en valeur par une élégante robe faite de pâle mousseline.
â Vous avec eu tort de brûler la lettre de mademoiselle de Rouville, reprocha aimablement madame de Rottenburg à Salaberry avec son français teinté dâun indéfinissable accent étranger. Jâaurai bien voulu la voir et jâaurais pu peut-être en tirer quelques conclusions. Et si, comme vous le croyez, elle a lu ce
Weitere Kostenlose Bücher