Julie et Salaberry
Entrez, et allez vite vous réchauffer. Monsieur et madame de Rouville sont si bouleversés par lâétat de leur fille, ils apprécieront le réconfort de votre présence.
Salaberry salua Talham et entra vite dans le manoir, plus mort que vif, et pas seulement parce quâil était transi de part en part, mais surtout parce quâil se savait responsable de la détresse de Julie. Sâil y avait un coupable à blâmer, câétait lui. Et il craignait le pire: quâelle refuse de le voir.
â Pauvre major, tout trempé, fit Joseph en lâaccueillant.
Le visage du serviteur avait perdu sa bonhommie habituelle et Salaberry aurait pu jurer que lâhomme avait pleuré.
â Jâavertis mon maître que vous êtes là et je vais dire à Rose de vous trouver des vêtements secs. Sinon, major, vous allez attraper la mort. Yâa bien assez de notâ pâtite mamâzelle qui est malade.
Et Joseph disparut vers lâintérieur du manoir en lâabandonnant près du petit salon où il avait fait sa demande à Julie. Lorsque monsieur de Rouville vient lây rejoindre, au grand désespoir de Salaberry, il nâavait pas du tout lâair ravi de le voir.
â Vous avez tous les culots de vous présenter chez moi, aboya le colonel de Rouville. Après ce que vous lui avez fait!
â Je viens de croiser le docteur Talham qui mâa appris, pour Julie. Comment se fait-il que personne ne mâait prévenu? Est-elle malade depuis longtemps? Que sâest-il passé?
Il avait lâair si malheureux que monsieur de Rouville se radoucit.
â Je ne peux pas vous en dire plus que ce que jâen sais. Sinon que vous êtes pour quelque chose dans cet accablement qui lâa frappé. Après votre départ, lâautre jour, Julie semblait pourtant heureuse, même si je lui en voulais quâelle ait négligé de vous donner une réponse. Le lendemain, elle est sortie seule et sans voiture. Et le surlendemain, ma fille prenait le lit pour ne plus le quitter. Je sais quâelle vous a écrit. Je veux bien être damné si je me trompe, parce que jâai questionné Joseph qui lui est fort dévoué, comme vous le savez. Depuis, misérable, vous ne lui avez pas donné de nouvelles et je crois que câest ce qui la tue.
â Je lâadmets, colonel, fit piteusement Salaberry, je ne suis quâun misérable.
â Que faites-vous ici? demanda alors la voix sèche de madame de Rouville.
La mère avait lâair épuisée. Jamais elle nâavait tant craint pour la santé de sa fille. Elle aussi en voulait à Salaberry.
â Julie a prononcé votre nom plus dâune fois. Au début, je lui ai demandé si elle voulait que je vous fasse venir, croyant quâelle vous réclamait à son chevet. Mais elle a repoussé avec horreur cette proposition.
Salaberry ne pouvait croire tout ce quâil entendait. Il comprit quâil devait aux parents de Julie la vérité et raconta dans quelles circonstances il avait reçu sa réponse, ainsi que ce quâil en avait déduit.
â Je ne me pardonne pas ce malheureux incident, déplora-t-il avec sincérité. Madame de Rottenburg a eu lâamabilité de mâécouter et elle mâa ouvert les yeux en me faisant comprendre lâurgence de la situation. Câest pourquoi je suis ici, vous suppliant de me laisser la voir pour la convaincre de la sincérité de mes sentiments, ajouta-t-il, penaud, en espérant avoir réussi à faire tomber les défenses de madame de Rouville.
â Suivez-moi, dit subitement cette dernière.
Tous montèrent à lâétage. Devant la porte de la chambre, la mère les fit attendre pendant que Julie faisait un brin de toilette avec lâaide de la vieille Rose. Au bout de ce qui apparut comme une éternité à Salaberry, la domestique sortit enfin et lâamoureux soupira.
â Venez, lâinvita madame de Rouville.
En pénétrant pour la première fois dans cette chambre de jeune fille où était alitée celle en qui il mettait tant dâespoir, il eut un choc. Julie était pâle et amaigrie, maintenue assise par de nombreux oreillers, et sous un bonnet propre et festonné dâune broderie, ses longs cheveux défaits avaient été brossés et tressés. Monsieur et
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