Julie et Salaberry
témoignage qui accusait le fils Rouville dâêtre lâinstigateur de lâincendie criminel de lâéglise de la paroisse. Mais ni le curé ni le notaire nâavaient obtenu de preuves concrètes de sa culpabilité et lâaffaire nâavait pas eu de suites. Restait lâautre déplorable histoire. Ovide avait forcé Marguerite Lareau, sans lâombre dâun doute. Pas question dây revenir sans compromettre une famille respectable et blesser un enfant qui ne devait jamais apprendre la vérité sur ses origines. En voulant régler seul ce problème délicat, plutôt que de sâen ouvrir à son évêque en sollicitant un conseil, avec toute lâhumilité dâun prêtre devant son supérieur, il avait failli à sa tâche de pasteur et péché par orgueil.
â Tout cela demande réflexion, hésita le prêtre coincé dans son dilemme.
Malgré sa tendance à vouloir imposer sa volonté à tout un chacun, même à son curé, messire Bédard comprenait lâespoir immense de ce père face à son fils, et le plaignait.
â Réfléchir à quoi, messire Bédard, je vous le demande? sâoffusqua madame de Rouville. En célébrant le mariage de notre fille dans votre église, vous pourrez vous vanter de bénir une union entre des familles parmi les plus prestigieuses du Bas-Canada. Remerciez le ciel que je sois si bonne chrétienne, respectueuse des lois de lâÃglise qui dit quâune jeune fille doit se marier dans sa paroisse. Recevez Ovide. Sinon, je vous jure par le ciel que ma fille épousera Salaberry à Montréal!
â Madame! répondit le curé, courroucé. à titre de pasteur, votre fils mâinspire du chagrin, et à ce chapitre, il sait très bien à quoi sâen tenir. Mais si vous réussissez à le convaincre de venir se confesser, je le recevrai comme je le fais avec nâimporte lequel de mes paroissiens. En échange, cher colonel, vous irez chez Lukin et Vincelette pour les convaincre de votre point de vue sur cette pénible affaire dont nous parlions plus tôt.
â Quoi? sâoffusqua le colonel.
â Câest donnant, donnant! riposta le curé.
Ses paroissiens apprendraient quâils ne le manipuleraient pas à leur gré sous prétexte quâils étaient de la noblesse.
â Madame de Rouville, jâattendrai la visite de votre fils.
Pour toute réponse, monsieur de Rouville attrapa son chapeau et disparut sans un mot dâadieu.
«Ingrats! Pas même un remerciement, songea messire Bédard en soupirant. Sauver des âmes est un bien dur métier.» Et pour le pasteur, lâoccasion de soigner la brebis galeuse du troupeau était arrivée.
Le curé trempa sa plume dans lâencrier pour écrire à monseigneur Plessis, évêque du diocèse de Québec. Une fois la lettre paraphée et cachetée, messire Bédard éprouva le besoin impérieux de prier. Il allait convoquer Ovide de Rouville, mais quel serait le compromis satisfaisant pour tous? Une forme de contrition acceptable pour Dieu, son Ãglise et son curé, afin que le jeune Rouville retrouve le droit chemin. «Seigneur, implora le curé, éclaire-moi de tes divines lumières!»
à Montréal, Salaberry terminait en vitesse une lettre à son père pour lâinformer de la date du mariage avant de la remettre à Michel-Louis Juchereau-Duchesnay, son cousin et beau-frère. Juchereau-Duchesnay â de même que son frère Jean-Baptiste â avait passé des années au régiment avec Salaberry.
â Puisque tu seras à Québec avant moi, je te confie cette lettre.
â Comme convenu, je reviendrai avec Hermine et les enfants à temps pour les noces, dit Juchereau-Duchesnay dont le visage étiré paraissait encore plus long que nature à cause dâénormes favoris lui allant jusquâau menton.
â Au moins, une de mes sÅurs sera présente à mon mariage, soupira Salaberry. Amélie et Adélaïde ont renoncé à ce bonheur! Lâune dâentre elles se devait de demeurer près de notre mère, encore trop faible et quâon ne peut laisser seule. Elles ont donc décidé ensemble de rester là -bas, ne voulant privilégier lâune ou lâautre. Tout ce chagrin qui
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