Julie et Salaberry
épargnera pas la rédaction dâun rapport sous prétexte que Salaberry se marie. Cela dit, il ne reste plus quâà écrire à monseigneur pour satisfaire votre fichue manie ecclésiastique dâergoter sur tout. Après tout, mon cher Bédard, reprit-il avec un peu plus de douceur dans le ton, nâest-ce pas là une excellente idée? Le mariage du commandant des Voltigeurs, en plein jour, avec la plus noble jeune fille de la région! Quel exemple pour les jeunes gens de Chambly! Ils voudront tous sâengager.
Manifestement, cette heureuse coïncidence qui enthousiasmait tant le colonel de Rouville nâémouvait pas le curé.
â Y aurait-il autre chose pour votre service? ironisa messire Bédard, narquois. Il avait hâte dâen finir. Lui aussi était passablement occupé.
â Heu! Justement, curé, pendant que nous y sommes⦠Comment vous dire? Il y a longtemps que je veux vous parler de la situation de notre fils.
â Plaît-il? laissa tomber le curé, plein dâinnocence.
Les mains jointes par le bout des doigts, il sâappliqua à demeurer stoïque, tout en se demandant en quoi consistait cette nouvelle faveur quâon voulait lui soutirer.
â Messire Bédard, dit alors madame de Rouville dâun ton pincé. Je ne sais pas à quel saint me vouer pour avoir la joie de voir mon fils fréquenter de nouveau son église paroissiale. Vous refusez la confession à Ovide qui ne peut plus se présenter à la sainte table et communier. Vous pouvez facilement comprendre la désolation dâune mère chrétienne qui voit son curé refuser les sacrements à son enfant, et cela, sans raison apparente.
Le curé se rembrunit à mesure quâelle parlait.
â Mon fils ne sâexplique pas votre mépris à son endroit, ajouta-t-elle, dâun ton faussement navré, bien quâil ait la générosité de vous excuser⦠Il affirme être lâobjet dâune terrible méprise. Et que⦠vous ne pouvez pas⦠ou ne voulez pas le reconnaître.
Elle sâarrêta pour reprendre son souffle.
â Bédard, il est impératif de corriger cette situation, renchérit le colonel, sur un ton presque suppliant. Je veux voir mon fils sâagenouiller à la sainte table et communier au mariage de sa sÅur! Un capitaine des Voltigeurs se doit dâoffrir le meilleur exemple à ses hommes, notamment en assistant aux saints offices prescrits par la religion.
â Il ne faudrait pas, monsieur le curé, que mon fils perde sa commission à cause de votre obstination, ajouta madame de Rouville dâun ton sec.
Le curé se leva de son siège pour dégourdir ses longs membres, mais surtout pour dissimuler à quel point les propos des Rouville lâaccablaient.
«Seigneur! Comment révéler à cette mère la conduite ignominieuse de son fils?»
Des cris dâenfants lâattirèrent à la fenêtre qui donnait sur le chemin. Les gamins du village couraient, libres et joyeux comme le printemps, savourant le plaisir de sâamuser sans les contraintes imposées par lâhiver. Le curé songea alors au jeune Melchior Talham, en réalité le petit-fils du couple Rouville. Que dirait le colonel, sâil apprenait la vérité? Il frémit à cette terrible éventualité. «Misère de misère!»
â Bédard, votre courroux envers mon fils est sans doute justifié. Par amitié pour notre famille, je vous supplie de lui accorder une dernière chance.
â Je vous entends, mon cher Rouville.
Il était dâautant plus ébranlé que la supplique des Rouville venait réveiller ses propres démons. Le cas dâOvide le hantait. Le salut de lââme de cet homme reposait sur sa capacité de pénitent à reconnaître ses fautes. Autrefois, le curé de Chambly lui avait tenu la dragée haute. Il avait exigé une confession complète et un repentir sincère, mais le jeune homme sâétait ri de lui. Le curé avait alors relégué lâinsolent parmi les âmes irrécupérables. Sauf quâen faisant son examen de conscience, messire Bédard admettait quâil avait manqué à son devoir en tenant le délinquant à distance.
En fait, il y avait deux causes en suspens. Jadis, le notaire Boileau avait eu vent dâun
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