Julie et Salaberry
rapatriement du jeune Ãdouard de Salaberry, actuellement cantonné à la frontière espagnole, afin dâoffrir une consolation à sa pauvre mère. Ce qui est en jeu, en vérité, câest le bonheur dâune famille éplorée.
â Je comprends, répondit le curé en hochant gravement la tête, lâair de compatir à ce grand malheur, alors quâen réalité, il ne voyait toujours pas pourquoi il y avait urgence.
Et si Charles de Salaberry se faisait tuer à la guerre? Toute cette précipitation nâaurait servi à rien. Quant à monsieur de Salaberry père, quâon disait bon Canadien et homme fort pieux, il nâaurait plus assez de larmes pour pleurer. Quatre fils! Belle sottise que de les envoyer tous à lâarmée! Câétait, comme qui dirait, mettre tous ses Åufs dans le même panier. Si le noble père avait dirigé lâun de ses garçons vers le service de Dieu⦠Dans les nobles familles, on donnait les filles au couvent et à Dieu, mais on offrait les garçons en pâture à Mars, le dieu païen de la Guerre.
â Si je résume, fit le curé, il nous faut une dispense pour non-publication des bans de mariage, ce qui fera cent livres. Et en ce qui concerne la parenté des fiancés, une dispense pour quatre degrés de cousinage est essentielle.
LâÃglise, qui prohibait le mariage entre cousins, étendait les degrés de cousinage à lâinfini.
â à mon avis, câest une formalité nettement exagérée, sâécria le colonel en oubliant sa bonne résolution de ne pas contrarier le curé.
â Monseigneur fixera lui-même le prix de la dispense de cousinage. Jâai déjà vu six cents livres pour deux degrés.
â Aussi bien acculer à la ruine un futur père de famille. Ma parole! Il nây a pas pire usurière que lâÃglise!
â Les laïcs nâont pas à critiquer les saintes décisions de lâÃglise, rappela le curé à son paroissien.
â Mon ami, intervint alors madame de Rouville en posant sa main sur le bras de son époux pour lui rappeler quâil fallait ménager la susceptibilité du prêtre, messire Bédard ne fait quâappliquer les règles.
â Nous disions donc en mai, reprit le curé. Le temps dâacheminer les demandes de dispenses à monseigneur de Québec. Que diriez-vous du 5?
Avant de répondre, le colonel exhiba un bout de papier sur lequel figuraient une série de chiffres.
â Impossible, Salaberry nâest pas libre.
â Allons-y pour le 12, offrit le curé qui regardait les dates des mardis, jour convenu pour se marier au Bas-Canada. Cela convient-il?
On évitait les mariages le lundi, sinon les familles consacraient le dimanche, jour du Seigneur, à préparer la noce. Le vendredi étant maigre, il était exclu, de même que le samedi, afin dâéviter que les noces ne débordent sur le dimanche. On réservait le mercredi et le jeudi, précédant le vendredi, aux mariages quâon voulait discrets. Restait donc le mardi.
â Impossible, répéta le colonel. Salaberry doit être à Montréal ce jour-là . Mais le jeudi suivant me semble parfait. Ne me regardez pas comme ça, Bédard. Câest que Salaberry a besoin de deux jours: un pour la signature des conventions de mariage et lâautre pour la célébration, et il court après son temps. Câest dit, ce sera le jeudi 14 mai, conclut-il.
â Il y a aussi autre chose, ajouta madame de Rouville. Le mariage doit avoir lieu à onze heures, pour un repas de noces à midi. Ne me parlez pas dâun mariage à sept heures ou neuf heures, messire Bédard. De grands personnages seront à la noce et on ne peut pas leur demander de se lever si tôt le matin!
Le curé, qui sâétait gardé de répliquer devant la liste des exigences des Rouville, afficha une longue mine désapprobatrice qui irrita le père de la future mariée.
â Bédard, cessez vos simagrées. Salaberry nâa guère le choix de la date ni même de lâheure. Ni moi dâailleurs. Depuis que je suis chef du deuxième bataillon de la milice dâélite, je suis débordé. Lâarmée est pire que lâÃglise quand il sâagit de paperasse ou de procédure! Et elle ne nous
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