Julie et Salaberry
parmi ses capitaines! Ce cousin, si différent des Juchereau-Duchesnay sur qui il pouvait compter les yeux fermés. La famille avait ses bons et ses mauvais côtés, comme il lâavait écrit à son père qui ne cessait de lui recommander lâun ou lâautre des membres de leur parenté, même la plus éloignée:
Il est trop difficile de commander à des membres de sa propre famille⦠et je me vois placé dans une situation insoutenable où lâon discute mes ordres, ou pire, où lâon refuse de mâobéir. Convenez, dear father , que ce nâest pas de cette manière que jâarriverai à former de bons soldats.
Son père, qui voulait diriger les Voltigeurs par procuration, nuisait parfois à son commandant.
â Ah! Viger.
Salaberry se leva pour faire signe au jeune homme qui le cherchait du regard. Câétait presque impossible de sây retrouver dans cette salle enfumée.
â Enfin, vous voici! Alors, que dites-vous de mon offre?
â Major de Salaberry, je suis à vos ordres, lui répondit Jacques Viger avec un enthousiasme qui réchauffa le cÅur de Salaberry, bien plus que la bière.
Cet homme déterminé plaisait beaucoup à Salaberry qui, sous des apparences de bon viveur, faisait montre dâesprit et de rigueur. Comme il lâavait annoncé à Rouville, ce quâil avait à dire les concernait tous les deux:
â Messieurs, vous êtes autorisé à commencer le recrutement de votre compagnie. Votre commission certifiant votre titre de capitaine vous sera confirmée lorsque vous aurez déniché trente-six volontaires. Je vous ai choisi comme capitaine puisque vous répondez aux exigences de la fonction: vous avez de lâinstruction et une bonne connaissance de lâanglais. Comme vous le savez, la plupart des ordres seront rédigés et devront même être donnés dans cette langue.
â Mazette! commenta Viger. Ce nâest pas une mince affaire que ces Voltigeurs.
En examinant les deux hommes assis en face de lui, Salaberry entrevit soudain lâimmensité de sa tâche. Pourtant, il nâavait pas le choix. Il devait faire de Rouville et de Viger â des hommes habitués au confort douillet de leur foyer et dont la pire épreuve avait sûrement été quelques coups de baguette sur les doigts lorsquâils étaient au séminaire â des officiers dignes de ce nom. à leur tour, ces officiers auraient la charge dâentraîner des hommes pour en faire des soldats, et ce, en lâespace de quelques mois. Comme si le fait de respirer un peu de poudre sur un champ de bataille pouvait miraculeusement transformer un homme en soldat!
Il poursuivit ses explications.
â Les engagements devront être dûment signés chez les notaires qui ont en main les formulaires. Et à chacune des recrues, vous remettrez la somme de quatre livres.
â Mais avec quel argent? demanda Ovide, décontenancé.
â à titre de capitaine, câest vous qui assumez cette dépense. Lâarmée compensera plus tard par une allocation. Si vous manquez dâargent, je verrai ce que je peux faire.
à Québec, Salaberry avait déjà pourvu à lâengagement de plusieurs hommes.
â Et les hardes? demanda Viger.
â Nous allons fournir lâuniforme complet: redingote, veste, pantalon, souliers de bÅuf, casque et fourrure dâours, capote, couverture, havresac, sac dâordonnance et fusil, répondit Salaberry. Par ailleurs, je vous conseille de recommander à vos recrues de se munir dâune couverture, si elles en ont les moyens. Rien nâest plus rare quâune couverture, en temps de guerre. All right? Lâentraînement des premières recrues débutera dans quelques jours à Chambly. Mais je doute que les compagnies soient complètes dâici là . Quoiquâà Québec, le recrutement va bon train.
«Eh bien! se dit Ovide. Me voilà embarqué dans une belle gabare.»
â Câest bon, dit-il en faisant mine de partir. Si vous le permettez, messieurs, je vous laisse.
â Vous ne restez pas? Je croyais que nous souperions ensemble. Jâai même invité Viger à se joindre à nous.
Salaberry aurait voulu profiter de lâoccasion pour faire plus ample connaissance avec Ovide. Peut-être arriverait-il à se
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