Julie et Salaberry
il nâavait osé pénétrer dans la demeure du docteur. Si sa santé nécessitait des soins quand il était à Chambly, le chirurgien de la garnison suffisait pour une saignée. Pour le reste, il y avait les potions concoctées par la vieille Rose, la suivante de sa mère. Et lorsque le docteur venait au manoir pour sâinformer de la santé des dames ou disputer une partie dâéchecs avec le colonel de Rouville, Ovide se trouvait rarement dans les parages. Dâailleurs, sâil avait choisi ce jour-là pour se présenter chez les Talham, câest quâil savait le mari absent. Messire Bédard lui avait ordonné de revoir Marguerite. «Maudit curé retors!» jura-t-il. Son avenir chez les Voltigeurs dépendait de cette paysanne qui lui avait déjà causé tant dâennuis.
â Jâexige que vous demandiez sincèrement pardon à madame Talham pour le crime que vous avez commis autrefois, avait exigé le prêtre.
Câétait là le prix de son absolution, et du billet de confession qui viendrait avec elle.
â Impossible, avait-il objecté. Cette femme me fuit. Dâailleurs, je ne comprends pas de quoi vous parlez.
â Vous le savez très bien. Débrouillez-vous! Une fois cette démarche accomplie, je considérerai la possibi-lité dâune confession, avait dit le curé. Mais à cette seule condition.
Il était inconcevable que ce rongeux de balustres détienne pareil pouvoir sur lui, Ovide de Rouville! Au moins, le curé nâavait pas évoqué lâincendie, se rappela-t-il. Les prétendues preuves, évoquées autrefois, et la mystérieuse lettre contenant la confession dâune misérable qui avait eu lâaudace de lâaccuser, tout cela nâétait sans doute quâune invention.
«Que fait donc la paysanne?» sâimpatienta-t-il, subitement mal à lâaise dâêtre au milieu de cette chambre de compagnie. à lâintérieur, une jolie voix de soprano fredonnait Jâai cueilli la belle rose, qui pendait au rosier blanc⦠Il allait repartir, trop heureux dâéchapper à la corvée, lorsque le chant sâarrêta brusquement.
Un cri dâeffroi le tira de ses réflexions.
â Vous! Comment osez-vous vous présenter chez moi?
Marguerite était devant lui et il la voyait moins ébranlée quâil ne se lâétait imaginé. Autrefois, il suffisait quâil apparaisse pour quâelle se transforme en pauvre petite chose tremblante. Son attitude le décontenança.
â Croyez-moi, on ne mâa pas laissé le choix, dit-il avec dédain en essuyant sa veste du revers de la main, comme si lâodeur nauséabonde de la fabrication du savon allait coller à ses coûteux habits. Sinon, jamais je nâaurais mis les pieds ici, dans la...
Il retint ses dernières paroles.
â ⦠la soue de Cendrillon? poursuivit Marguerite. Câest ce que vous alliez dire, sans doute. Vous voyez que je nâai rien oublié. Maintenant, sortez dâici.
â Holà ! Madame, vous nâavez pas dâordre à me donner. Je suis ici à la demande du curé.
â Du curé?
Il lâexamina. Elle avait changé et perdu son accent campagnard. Elle était très différente de la paysanne apeurée dâautrefois. La jeune fille dont il avait si facilement abusé dans lâécurie du manoir avait fait place à une femme quâil ne pouvait sâempêcher de trouver belle. Elle portait toujours ses cheveux coiffés en une longue natte qui lui balayait le creux des reins comme une tentation du diable. Et elle le détestait! Sa poitrine voluptueuse frémissait sous la colère qui faisait également briller ses yeux, attisant son désir. Un désir si violent quâil devait faire un effort inouï pour ne pas avancer la main et la toucher. Cette femme lâensorcelait. Elle le provoquait et il aurait voulu la posséder, là , sur le plancher même. La domestique sâétait sauvée et il nâentendait aucun bruit, comme sâil nây avait personne dâautre dans la maison. Où se cachait sa demi-douzaine de morveux? Pourtant, il devait y avoir un enfançon, une petite fille dont son idiote de sÅur était la marraine⦠Puis il se rappela soudain pourquoi il était venu. Il avait
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