Julie et Salaberry
fille surprise à revenir du bal à une heure indue.
â Que dire de vous, mon ami, avec ma chère cousine Souris? lança le colonel à Louis en donnant à Catherine son surnom. De ma prison dâAlbany, où je fus détenu pendant la première guerre contre les Bostonnais, je lui avais adressé quelques vers de mon cru. Ãcoutez cela, mon gendre.
Rien ne plaisait plus au colonel que de prendre la vedette. Il se leva pour réciter, avec une grandiloquence digne du siècle précédent:
â Et toi Souris, ma chère cousine / Toi qui souvent me fis la mine / Prends garde quâen ces calamités / Un gros matou mal avisé / En profitant de notre absence / De son côté fit pencher la balance.
â La belle tirade que voilà ! sâesclaffa Louis de Salaberry. Tu vois, mon fils, à quel point le cousin prenait garde de veiller sur la vertu de ta mère, me décrivant, moi, son fiancé, sous les traits dâun gros matouâ¦
â Mon ami, je vois bien que vous en souffrez encore, riait le colonel. Mais comme vous fûtes blessé à cette guerre, et bien étendu sur un lit de lâHôpital général de Montréal, vous étiez à lâabri de ma pauvre versification.
â Et sous bonne garde, dit Louis. Jâavais chaque jour la visite de ma chère Souris, mais avec pour chaperon un de ces satanés Bostonnais qui se tenait à ma porte, puisque jâétais quand même prisonnier.
â Désormais, câest votre fils qui aura la garde de ma fille, dit le colonel avec un sourire guilleret.
â Je nâai jamais vu mes parents sâamuser ainsi, avoua Julie à son mari.
Salaberry eut un regard tendre pour sa nouvelle épouse.
â Mon ange, câest signe que le bonheur nous attend.
Et il lâembrassa.
â Ah, bravo! applaudirent les invités.
Des accords de violon se firent entendre.
â Salaberry, dit joyeusement Ovide à son beau-frère, les mariés doivent ouvrir la danse.
Charles sâinclina devant Julie et ils gagnèrent le milieu de la salle quâon venait de débarrasser pour permettre aux danseurs dâévoluer sans contraintes.
â Venez, jolie diablesse, dit Ovide en attrapant la main dâEmmélie. Vous allez danser en ma compagnie.
Devant lâimpossibilité de refuser sans provoquer un scandale, Emmélie se leva pour se joindre aux autres danseurs. Le curé eut beau rouspéter sur lâimmoralité de ce divertissement, personne ne sembla entendre, et même Marie-Josèphe accepta lâinvitation du capitaine Juchereau-Duchesnay.
Les musiciens attaquèrent les premières notes dâune contredanse anglaise et les danseurs se saluèrent.
Marguerite observait ces réjouissances. Le jour de ses noces, elle nâavait pas eu droit à la fête. On lâavait traitée en pécheresse et son mariage avait été célébré à lâabri des regards. Elle était assise à côté de son cousin René, quâelle avait tant aimé autrefois et avec lequel elle avait toujours préféré garder ses distances, même si ce dernier venait parfois chez les Talham, et toujours en sachant que le docteur était à la maison. Après tant dâannées, câétait la première fois quâils se retrouvaient ainsi, à bavarder amicalement de choses et dâautres, comme sâil ne sâétait jamais rien passé sur le chemin de la Petite Rivière, ce jour où elle avait promis de lâattendre. Avant ce voyage en Angleterre et en France dâoù René était revenu pour retrouver sa bien-aimée mariée au docteur Talham et mère dâun enfantâ¦
Aujourdâhui, les yeux inquiets de Marguerite étaient rivés en direction de sa cousine Emmélie qui formait un couple élégant avec Ovide de Rouville.
â Je vois que cela te déplaît, dit René en se penchant vers Marguerite.
â Je me méfie du fils Rouville. Ce monsieur est venu chez moi lâautre jour, et sâen est pris à Lison, dit-elle, en guise dâexplication.
â à Chambly, on sait quâil faut tenir les servantes loin de ses griffes, répondit René. Mais inutile de te faire du souci pour Emmélie, la rassura-t-il avec douceur. Elle sait se défendre. Au fait, que venait-il faire chez vous? Consulter le docteur? Ce
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