Julie et Salaberry
serait bien la première fois.
â Câest vrai. Je crois même quâil nous méprise. Dâailleurs, ce jour-là , Alexandre était absent. Câest plutôt à cause du curé, lâcha-t-elle en se mordant les lèvres.
â Le curé? Ãtrange⦠Très étrange, répéta René.
Marguerite était consciente dâen avoir trop dit. Pourtant, elle aurait tant voulu lui confier ses craintes, lui révéler ce qui sâétait passé, jadis, dans lâécurie. Mais elle ne le pouvait pas, elle évitait toute conversation pouvant mener à ce genre de confidences.
Plutôt que de la laisser sâembrouiller dans des explications confuses, René se tut. Emporté par lâambiance de la noce, il ne voulait surtout pas gâcher le plaisir quâil éprouvait dâêtre à ses côtés et de pouvoir la contempler sans détour. Elle était encore sa Marguerite, avec ses yeux pailletés dâor et cette petite mèche de cheveux quâelle repoussait constamment par nervosité, geste adorable qui le séduisait toujours. Longtemps, René avait voulu la détester, croyant quâelle lâavait trahi. Mais ni le temps ni les autres femmes quâil avait connues, et parfois aimées jusquâà un certain point, nâavaient réussi à faire taire le sentiment quâil éprouvait pour Marguerite.
â Pour moi, dit-il soudainement, tu resteras cette jeune fille, avec son panier de framboises, sur le chemin de la Petite Rivière.
Elle frémit. Et il voyait, à ses yeux brillants, quâelle avait compris quâil lui avouait son amour.
René se leva.
â Docteur, permettez que jâinvite madame Talham pour cette danse.
Pris au cÅur dâune discussion animée avec les Bresse sur les changements qui se produiraient bientôt à Chambly, le docteur sâempressa dâacquiescer avec reconnaissance.
â Faites, mon ami. Ma petite fleur sera heureuse de danser. Pour ma part, je me fais un peu vieux pour ce genre de distraction.
«Personne ne remarque le trouble de Marguerite et du notaire», se dit Françoise Bresse. La voisine des Boileau avait un don particulier pour déceler les secrets des autres et considérait que le docteur avait toujours fait preuve dâune déconcertante naïveté à propos de sa femme. Que restait-il de lâamour quâil y avait eu entre René Boileau et Marguerite Lareau? se demanda Françoise. Ne connaissant pas la réponse, elle regarda René mener Marguerite au milieu des danseurs, manÅuvrant habilement pour sâéloigner du couple formé par Emmélie et Ovide.
â Marguerite, lui dit-il dâune voix sibylline lorsquâils tournoyèrent une dernière fois. Peu importe ce qui arrivera, je veux que tu saches que tu peux toujours compter sur moi.
La danse finissait. Il la reconduisit auprès de son mari, sans lâcher sa main. Puis ses yeux se détachèrent dâelle.
Plus personne ne revit le notaire ce jour-là . Il était parti pour une de ses longues promenades solitaires dont il avait lâhabitude.
Le cÅur en émoi, Marguerite se retrouva au milieu de tous ces gens qui riaient, buvaient ferme et se régalaient des nombreux plats du banquet â monsieur de Rouville avait fait tuer un veau et un cochon pour la circonstance. Heureusement, Alexandre était là . Sans égard aux convenances, elle appuya sa tête sur son épaule. Son mari était son refuge. Encore ce soir, il sâallongerait à ses côtés et sâendormirait paisiblement, après avoir posé sa joue sur ses longs cheveux et respiré leur odeur. Il la prendrait dans ses bras et se blottirait contre elle, lâappelant sa chère petite fleur. Comme il lâaimait! Marguerite en avait le cÅur chaviré.
Salaberry sâimpatientait, songeant à la chambre où ils passeraient leur première nuit, à lâétage de lâauberge. Julie y avait fait porter ses bagages. Il avait profité du fait que le manoir de Rouville était plein à craquer pour passer outre lâinsistance de ses beaux-parents qui souhaitaient que les nouveaux mariés occupent la chambre de jeune fille de Julie. Il avait préféré lâintimité quâoffrait lâauberge, où Julie et lui se retrouveraient seuls, Ã
Weitere Kostenlose Bücher