Julie et Salaberry
lâabri des regards attendris mais curieux de la parenté, le lendemain matin.
 Après la deuxième danse, les mariés avaient repris leurs places à table. Les conversations et les rires animés créaient un joyeux brouhaha dans la grande salle de lâauberge. Charles observa à la dérobée celle qui était sa femme depuis quelques heures. Elle eut conscience de son regard, et lui sourit.
â Pendant la messe, jâai bien prié pour que Dieu préserve mon frère Ãdouard. Je nâai pas pu mâen empêcher. Mais, par la suite, jâai prié pour que nous ayons un fils, ajouta-t-il en souriant.
â Câest mon plus cher souhait, Charles, chuchota-t-elle pendant quâil saisissait sa main pour la baiser.
â Jâaurais voulu tâoffrir une vie plus paisible que celle qui sera la nôtre. Tu devras me suivre dans mes quartiers dâarmée. Dire que je ne peux même pas te donner un logement décentâ¦
à lâentendre évoquer ce que serait leur vie dans les jours à venir, elle songea surtout quâaprès la nuit, elle deviendrait pour de bon madame de Salaberry. Cette pensée la fit rougir.
â Que signifie ce joli rose sur tes joues?
â Il me tarde dâêtre à Québec et à Beauport, répondit-elle, rappelant le voyage prévu pour lâempêcher de deviner ses pensées intimes.
Prévost avait convoqué Charles à Québec et Julie lâaccompagnait, ce qui lui donnerait lâoccasion de rencontrer sa belle-mère et ses belles-sÅurs. Mais les Salaberry ne resteraient pas longtemps à Beauport. Charles devait revenir à Chambly et il avait été convenu que Julie suivrait son mari partout où il se rendrait.
â Encore des formalités à régler et nous partirons. Quelques jours encore à abuser de ta patience, soupira-t-il.
â Jâen profiterai pour faire mes visites dâadieu, dit Julie, conciliante.
â En attendant, il me tarde de me retrouver seul avec toi, murmura-t-il à son oreille.
Elle frissonna, anticipant le moment où elle se dévêtirait, là -haut, dans la chambre. Tout à lâheure, dans le chaos qui avait précédé le dîner, Charles lâavait entraînée en douce dans un coin désert. Le baiser ardent qui sâétait prolongé avait provoqué de délicieuses sensations.
Lâorchestre annonçait un cotillon et Charles tendit la main à Julie. Après cette dernière danse, ils filèrent à lâanglaise, avec des mines de conspirateurs.
Lâaubergiste Vincelet sâavança vers la table des Boileau pour remplir les verres, la mine longue comme un sabre.
â Monsieur Vincelet, dit alors madame Boileau, tout sourire et amabilité. Je disais à mon mari que cette noce était fort réussie et que nous nous en souviendrons lorsque viendra le temps du mariage de notre fille Sophie.
Le visage de lâaubergiste sâéclaira, au contraire de celui de monsieur Boileau.
â Mais tu nây penses pas, ma chère Falaise. Nous nâen avons pas encore parlé et⦠hésitait-il, nous ne pouvons rien promettre, puisque Sophie décidera, comme elle le fait toujours.
La danse reprenait et madame Boileau sâavança.
â Monsieur Vincelet, que diriez-vous dâêtre mon cavalier?
Jacques Vincelet, qui nâétait plus tout à fait un jeune homme, rougit de la tête aux pieds.
â Câest trop dâhonneur! balbutia-t-il.
Il se souviendrait de lâinvitation de la noble dame de Gannes de Falaise pour le reste de ses jours.
â Je crois que vous devriez déposer cette carafe sur la table, ajouta cette dernière en souriant avec la grâce unique que conféraient des siècles de noblesse.
â Bien sûr, bien sûr, bégaya Vincelet, toujours écarlate. Mais permettez, madame, que je retrouve ma veste, ajouta-t-il en dénouant avec maladresse les cordons de son tablier taché de vin et de sauce.
â Ma parole, ma femme! lui reprocha son époux. Mais quâest-ce qui vous prend? Danser avec mon ennemi! Je me fais lâimpression dâun bas malodorant que vous venez de laisser tomber.
â Mesurez vos paroles, mon ami, car on pourrait vous entendre, rétorqua la dame, sans tenir compte du ton courroucé de son époux. Seriez-vous aveugle à ce
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