Julie et Salaberry
Mesurer la taille, câest obligatoire pour nâimporte quel corps dâarmée, expliqua-t-il à un Godefroi surpris. Les hommes trop petits sont refusés. Ãcoute attentivement ce que je vais te lire.
Le notaire prenait son temps. Il voulait sâassurer que son cousin comprenne bien ce dans quoi il sâengageait. Il lisait tout en inscrivant les renseignements exigés dans les espaces laissés en blanc sur le formulaire imprimé, ce qui simplifiait singulièrement son travail. Ainsi, il nâaurait pas besoin de retranscrire entièrement lâacte pour produire les trois exemplaires nécessaires: un pour le capitaine, un autre pour lâenrôlé et le document original, destiné à demeurer dans son greffe.
Engagement de Godefroi Lareau au capitaine de Rouville, le 15 mai 1812.
Par-devant le notaire public pour la province du Bas-Canada, résidant à Chambly sur la rivière Chambly soussignés, furent présents Godefroi Lareau, fils de François Lareau, demeurant dans la paroisse Saint-Joseph-de-Chambly, âgé de 25 ans, ayant cinq pieds et huit pouces et demi de haut, de complexion blanche, les cheveux blonds, les yeux bleus, dâune part, et Sieur Ovide de Rouville, écuyer, demeurant à Chambly, dâautre part.
Lequel dit sieur Godefroi Lareau désirant donner des marques de son attachement au gouvernement de Sa Majesté britannique, sâest, par ces présentes, volontairement engagé et sâengage à servir fidèlement Sa Majesté Notre Souverain Seigneur, le Roiâ¦
René fit une pause à cet endroit. Godefroi écoutait béatement.
â Je tâinvite à poser toutes les questions que tu voudras.
Ovide sâimpatienta.
â Vous voyez bien, notaire, que ce jeune homme nâest pas sot.
René ignora la remarque de Rouville.
â Les Voltigeurs seront soumis aux règles militaires, expliqua-t-il. Quoiquâelles soient moins sévères que celles de lâarmée régulière, on dit le major de Salaberry strict en matière de discipline.
â Tâinquiète pas, René. Jâai compris. Je vais devenir un Voltigeur canadien! Un soldat de Salaberry!
â Câest ça, dit le notaire avec un dernier regard à son jeune cousin.
Rassuré par lâattitude de Godefroi, le notaire reprit la lecture:
⦠à ce présent et acceptant, pour et au nom de notre dit Souverain, Seigneur le Roi, ledit Godefroi Lareau, dans le corps des Voltigeurs canadiens pour lâespace de temps que durera la guerre avec les Ãtats-Unis de lâAmérique ou jusquâà ce que le Gouvernement de cette Province, ou le Lieutenant Gouverneur, ou la Personne ayant lâadministration dâicelle, déclare par Proclamation, que lâappréhension de telle guerre avec les Ãtats-Unis de lâAmérique a cessé.
â Voilà , câest tout. Tu signes ici, Godefroi. Tu sais écrire ton nom, nâest-ce pas?
â Par ma vie, René. Je sais signer mon nom, ma sÅur Marguerite mâa appris. Je pourrais même lire mon engagement au père. Quant à la mère, elle lit des livres!
Il se tourna fièrement vers Ovide.
â Ma sÅur, câest la femme du docteur, vous la connaissez, capitaine?
â Mais bien sûr, jeune Lareau. Qui ne connaît pas la belle madame Talham? gouailla Rouville.
René sursauta avant dâajouter:
â Comme le sait le capitaine, madame Talham est une honorable mère de notre paroisse qui jouit de lâamitié de madame de Salaberry, dit-il. Et à titre de parente, elle a droit à ma protection. Rappelez-vous de cela, capitaine de Rouville!
â Holà ! Notaire, un peu de respect! Vous parlez à un capitaine du régiment des Voltigeurs canadiens!
â Câest-à -dire un homme dâhonneur, nâest-ce pas? répondit René.
Mais lâesprit brumeux dâOvide manquait singulièrement de subtilité en ce lendemain de noce.
â Lâhonneur! Quâest-ce quâun simple roturier peut comprendre à lâhonneur?
â Les roturiers, capitaine, en savent suffisamment à ce chapitre pour distinguer celui qui est gentilhomme de celui qui ne lâest pas.
â Insolent! Auriez-vous oublié le nom que je porte?
â Que non, monsieur de Rouville, et je souhaite que vous-même ne lâoubliiez jamais.
â Et
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