Julie et Salaberry
coincé entre lâaîné qui hériterait et les benjamins encore dans lâenfance.
â Jâai le goût de voir du pays, proclama Godefroi.
â Je peux comprendre ça. à ton âge, rien de plus naturel. à propos, tes parents savent que tu es ici?
â Par ma vie, bien sûr que non! Personne ne sâen doute! Je leur dirai la vérité quand jâaurai mon papier entre les mains, affirma le jeune homme avec une lueur de fierté dans les yeux, en parlant de son contrat dâengagement. Jâirai le montrer à Marguerite. Tu tâimagines sa surprise, hein, René? Et mon beau-frère, le docteur? Lui aussi a déjà servi dans lâarmée.
â Pour sûr, le docteur ne pourra que tâapprouver et ta sÅur sera certainement fière de te savoir aussi brave, affirma le notaire, tout en se demandant comment Marguerite accueillerait la décision de son frère.
Non seulement il risquerait sa vie comme soldat, mais il sâengagerait dans la compagnie dâOvide de Rouville, sans savoir que ce dernier était le pire ennemi de sa sÅur. Il nâeut pas le temps dây réfléchir plus longuement, car ledit capitaine arrivait.
â Mon capitaine, fit Godefroi, avec un salut militaire.
Touché par la candeur du garçon, René ne put retenir un sourire. Par contre, Ovide nâétait pas dâhumeur à apprécier lâenthousiasme de sa recrue. La veille, à la noce, il avait continué à boire bien après le départ des invités et Vincelet avait été obligé de le faire raccompagner chez lui par un domestique, une manière polie de mettre un fils de famille à la porte.
â Alors, notaire, que pensez-vous de ma recrue? railla Ovide en se laissant lourdement tomber sur le fauteuil des visiteurs.
â Je connais bien Godefroi. Un de nos meilleurs garçons dans la paroisse, dur à lâouvrage et dévoué.
â Ãa fait au moins deux Saint-Jean que votre père mâengage pour lâentretien de ses jardins et de son verger. Quand jâai su que vous étiez nommé capitaine des Voltigeurs du major Salaberry, jâai fait ni une ni deux et me voici! déclara Godefroi.
â Jâimagine que le mariage de votre sÅur avec le commandant des Voltigeurs suscitera des vocations militaires chez les jeunes gens de la paroisse, fit remarquer le notaire en consultant ses notes. Déjà quatre contrats à conclure dans les prochains jours. Félicitations, capitaine de Rouville.
â Vous ne pourrez pas dire que je ne vous donne pas de bonnes affaires, notaire. Voyez comme jâai lâesprit de famille, le nargua-t-il.
â Que voulez-vous dire?
â Votre charmante sÅur, hier, mâa comblé dâespoir.
â à mon avis, capitaine de Rouville, je crois que vous vous faites des illusions à propos dâEmmélie.
â Notaire, votre opinion mâimporte peu, seule compte celle de votre père qui, jâen suis persuadé, me sera favorable.
â Si nous passions à ce qui vous amène, proposa René.
â Pas si vite, le coupa Ovide.
Il fit mine dâhésiter, puis gratifia le notaire dâun regard sournois et plein dâarrogance.
â Je me demandais si⦠monsieur votre père avait une quelconque connaissance de la nature de vos fréquenta-tions, à Montréal. On vous a vu sortir de chez une certaine veuveâ¦
René accusa le coup.
â Jâignore totalement de qui vous voulez parler, dit-il en le dévisageant froidement.
Comment avait-il su, ce misérable? Lâabominable personnage ne pouvait être un invité de madame de Beaumont. Mais il se promit dâêtre sur ses gardes au cours de son prochain séjour en ville.
â Bon, assez de bavardage et commençons, fit grossièrement Ovide. Maintenant quâil avait lancé sa pique au notaire, il avait hâte dâen finir.
â Viens par ici, dit René à Godefroi, qui attendait passivement la fin du curieux échange entre les deux hommes, auquel il ne comprenait mot.
René déroula un ruban à mesurer.
â Mets-toi dos au mur, demanda-t-il. Comme ça. Et ne bouge pas.
Le notaire fit une marque sur le mur, retourna à sa table de travail et nota la mesure sur un formulaire déjà imprimé, servant à lâengagement des futurs soldats.
â
Weitere Kostenlose Bücher