Julie et Salaberry
situé entre les deux terres. Et monsieur Lenoir, ici présent, a bien examiné le ponceau et noté toutes les réparations à faire. Son procès-verbal ne fait que rétablir la vérité. Par conséquent, vous serez tenu de payer votre part des réparations.
â Vous avez osé traiter votre curé de menteur! rugit messire Bédard, le visage rouge de colère. Mais câest vous et ce⦠Lenoir â il désigna le pauvre fonctionnaire dâun doigt dédaigneux â qui êtes en tort. La terre de la fabrique est beaucoup trop éloignée du fossé pour sây égoutter. Jâaffirme que ce procès-verbal est une iniquité. Messieurs, déclara-t-il en se retournant vers Bresse, Lukin et Vincelet, nous attaquerons ce document!
â Eh bien, messieurs, attaquez! riposta Boileau en relevant la tête avec un air de défi.
â Vous avez raison, monsieur le curé, déclara le marchand Lukin. Contestons le procès-verbal.
Lukin, qui avait épousé Louise de Niverville, la sÅur cadette des demoiselles célibataires, filles de lâancien seigneur de Chambly, croyait fermement que monsieur de Rouville prendrait le parti de la noblesse, câest-à -dire son parti.
Messieurs Bresse et Vincelet opinèrent vigoureusement et lâaubergiste, ne voyant plus rien à ajouter, sâempressa de retourner chez lui. Il nâaimait pas laisser la surveillance de son commerce à son employé et toute cette affaire avait déjà consommé quelques heures, depuis le matin.
â Retournons à la maison, ma chère, dit également monsieur Bresse à sa femme.
â Jâirai tout à lâheure, fit Françoise qui ne semblait pas aussi pressée de rentrer. Emmélie me parlait de la prochaine soirée et...
â Tu ne songes tout de même pas à accepter une invitation de ces gens! sâoffusqua Joseph.
Et il tourna grossièrement le dos aux demoiselles Boileau, entraînant Françoise à sa suite.
â Eh bien! laissa tomber Julie qui venait de retrouver Emmélie et Sophie.
Les jeunes filles échangèrent un regard navré.
â Câest ce qui sâappelle brûler les ponts, constata tristement Emmélie. Madame Bresse ne reviendra pas à nos soirées avant longtemps.
â Je le crains, soupira Sophie, comme le curé surgissait et attrapait Julie par le bras pour lâentraîner à part.
â Mademoiselle de Rouville, je vous demande dâaller quérir immédiatement votre père. Quâil vienne au presbytère afin que je puisse moi-même lâinformer des graves incidents qui perturbent la paroisse, exigea-t-il sur un ton qui se voulait sans réplique.
â Mais madame Talham mâattend depuis déjà une heure. Câest très impoli etâ¦
â Je regrette, chère demoiselle, lâinterrompit le curé, mais vous devez remettre votre visite à demain. Le docteur expliquera à son épouse lâimportante mission que je vous confie. Il est impératif que votre père soit mis au courant de lâiniquité qui plongera la paroisse dans une pauvreté extrême.
Le docteur Talham interrompit la tirade du curé.
â Tout de même. Ce nâest pas comme si le ciel venait de nous tomber sur la tête!
â Docteur, avez-vous oublié à qui vous vous adressez? sâindigna messire Bédard.
â Il ne sâagit pas dâaffaires spirituelles, mais dâaffaires temporelles, rétorqua monsieur Boileau. Ce qui explique pourquoi vous nây comprenez goutte, ajouta-t-il en toisant avec insolence le pasteur. Mais je suis dâaccord avec vous sur un point. Mademoiselle de Rouville doit avertir son honorable père de la situation immédiatement.
Pendant que les protagonistes se toisaient, Julie voyait son petit bonheur sâenvoler comme la dernière feuille dâautomne. Comme elle regrettait de ne pas avoir continué son chemin tout à lâheure! Le docteur confirma ses craintes:
â Chère demoiselle, je crois malheureusement que vous nâavez pas dâautre choix que de renoncer à vos projets. Ni le curé ni Boileau ne vous laisseront tranquille tant que vous nâaurez pas saisi votre père de ces pénibles événements.
â Je ne vois pas ce que mon père pourra faire de plus, soupira Julie.
â
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