Julie et Salaberry
Qui sait? fit le docteur Talham. Le colonel trouvera peut-être une solution pour apaiser les esprits échauffés.
Julie doutait que son père réussisse un tel exploit et lâexpression de découragement sur le visage du docteur Talham laissait entendre que lui-même nây croyait guère.
â Il faudra mâexcuser auprès de Marguerite, se résigna Julie.
â Si vous le permettez, je vous accompagne, ajouta le docteur. Je donnerai à votre père des détails de lâaffaire que vous ignorez. Demandons aux demoiselles Boileau dâaller informer ma petite fleur des circonstances déplorables qui vous obligent à lui faire faux bond.
â Bonne idée, approuva monsieur Boileau en brandissant une canne à pommeau sculpté. En tant que parent de ma famille, vous avez toute ma confiance.
â Rappelez-vous également que vous êtes mon paroissien et que jâai charge de votre âme, ajouta le curé dâun ton sévère.
Talham haussa les épaules. On nageait en plein délire.
â Je compte sur vous pour prévenir Marguerite? demanda-t-il aux sÅurs Boileau.
â Heu! Je dois avancer mon trousseau, prétexta Sophie qui ne tenait pas à faire les commissions du docteur.
â Comptez sur moi, soupira Emmélie.
Et elle se tourna vers le curé:
â Messire Bédard, offrez-moi votre bras, puisque nous allons dans la même direction. Je vais faire un bout de chemin avec vous.
Dérouté, le curé hésitait à répondre à la fille de son ennemi.
â Messire Bédard, ne suis-je pas également votre paroissienne? insista Emmélie, non sans malice.
Elle nâavait pas du tout lâintention de reparler du pont du fossé, mais sâamusait de voir le curé embêté. Il ne lâavait pas volé.
â En chemin, vous me donnerez les dernières nouvelles de votre sÅur, Marie-Josèphe, le rassura-t-elle. On mâa dit quâelle souffrait dâune mauvaise grippe. La fièvre a-t-elle baissé?
à titre dâhomme dâÃglise, le curé Jean-Baptiste Bédard ne pouvait plus refuser le geste de paix venant dâune jeune fille estimée par toute la paroisse.
Le curé parti, René remercia en pensée sa sÅur qui possédait lâart dâéteindre les feux.
Joseph rebroussa chemin avec regret en pensant aux galettes de Perrine. Dans la calèche, Julie et Talham restaient silencieux. Tandis que le docteur sâinquiétait de voir disparaître la bonne entente entre les familles de notables, la tristesse sâinstallait dans le cÅur de Julie. Pendant tout ce temps, René ne lui avait pas accordé un seul regard.
Chapitre 2
Home, sweet home
Aux environs de quatre heures de lâaprès-midi, en cette veille de Noël de lâannée 1811, le soleil se couchait déjà , chamarrant le Saint-Laurent de ses reflets cependant quâà lâhorizon se dessinait la silhouette du cap Diamant, majestueuse porte dâentrée du continent nord-américain dans le détroit de Québec.
Sur le chemin royal qui longeait la rive nord du fleuve entre Québec et Beauport, un cavalier solitaire sâarrêta pour admirer lâimpressionnant tableau. Son allure â son port altier et sa tête coiffée dâun shako â était celle dâun officier de lâarmée de Sa Majesté George III. Une longue écharpe de fourrure nouée autour du cou, il portait un manteau sombre qui le recouvrait entièrement, descendant jusquâaux guêtres de laine grise dâoù lâon voyait poindre des bottes noires, impeccablement cirées. Un portemanteau contenant son paquetage et marqué dâarmoiries était attaché à la selle.
«Rien au monde, ni la mer des Antilles ni même les merveilles de Londres nâégalent cette splendeur», se dit Charles de Salaberry en contemplant la magnificence du fleuve qui lâavait vu naître. Il était heureux de rentrer chez lui pour passer les fêtes avec sa famille. Sa longue permission lui permettrait dâoublier un peu la sévère discipline militaire pour flâner ou lire auprès du feu. Il pouvait déjà sentir lâodeur dâun pot-au-feu à la mode canadienne que sa mère aurait préparé elle-même à son intention, sachant à quel point la cuisine
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