Julie et Salaberry
Lukin, lâépoux de Louise de Niverville, la sÅur des demoiselles bessonnes. Tous ces messieurs avaient lâair furieux. Que faisait là cet inconnu? se demanda Julie en descendant de la calèche.
Emmélie et Sophie Boileau, de même que Françoise Bresse, lâavaient aperçue et venaient à sa rencontre.
â Mais que se passe-t-il?
â Mon père sâest décidé à faire les réparations au ponceau du fossé, expliqua Emmélie.
â Voilà une excellente nouvelle, applaudit Julie. On se demandait toujours quand sâeffondrerait ce vieux pont de bois.
â Câest la vérité, sâempressa de dire Françoise, lâépouse du marchand Joseph Bresse. Moi qui ai, pour ainsi dire, ce ponceau devant mes fenêtres, je ne compte plus le nombre de charretiers furieux dâavoir cassé une roue par faute de ces madriers pourris que personne ne songe à remplacer.
Emmélie et Julie réprimèrent un sourire en échangeant un regard. Câétait un fait avéré au village que Françoise Bresse était toujours à sa fenêtre et que rien de ce qui se passait à Chambly ne pouvait lui échapper. Mais Sophie nâaimait pas quâon critique son père.
â Madame Bresse, vous exagérez!
â Sophie a raison, lâappuya Emmélie. Sans être en ruine, convenons que le ponceau a besoin dâimportantes réparations.
Ignorant les demoiselles Boileau, madame Bresse se retourna vers Julie et déclara, dâun ton dramatique:
â Un jour, ce pont sâeffondrera en tuant quelquâun. Et le pire, chère mademoiselle de Rouville, câest que monsieur Boileau sâest mis en tête de faire payer les réparations par tout le village.
â Tout le village? sâétonna Julie.
â Câest faux! sâinsurgea Sophie. Le fossé est mitoyen. Nâest-il pas normal que les propriétaires concernés contribuent aux réparations?
Dâune main joliment gantée, elle désigna lâendroit. Près du ponceau délabré se trouvait une modeste construc-tion de bois, petite chapelle de procession qui servait aux dévotions de la Fête-Dieu, offerte à la paroisse par monsieur Boileau. Personne ne pouvait douter de la générosité de son père, croyait fermement Sophie.
â Il y a au moins cinquante ans que mon grand-père Pierre Boileau a acheté cette terre pour la donner à mon père. Depuis, notre famille a toujours pris à sa charge lâentretien du ponceau qui enjambe le fossé. Il est temps de changer cette coutume et câest pourquoi mon père a fait venir un arpenteur de Montréal afin dâétablir la juste répartition des coûts.
Ce fossé servait à lâégouttement de deux terres contiguës donnant sur le chemin du Roi. La première, celle où se trouvait la chapelle, était une ancienne concession appartenant à la famille Boileau. La deuxième était la propriété dâune veuve Benoît qui lâavait morcelée en lots afin dâen tirer un profit suffisant pour subsister. Monsieur Bresse avait construit sa belle maison de pierre sur le premier lot, devenant ainsi le voisin immédiat de Boileau. Venaient ensuite lâaubergiste Vincelet et le négociant Lukin. Plus loin sâélevaient lâéglise et le presbytère. En poursuivant sur le chemin du Roi, toujours en longeant la rive du bassin, on arrivait finalement chez les Talham avant dâatteindre lâintersection de la route qui menait à Longueuil.
Madame Bresse allait répliquer lorsquâune voix essoufflée se fit entendre:
â Mademoiselle de Rouville! Mademoiselle de Rouville!
Messire Bédard â un titre souvent utilisé pour désigner les curés â accourait, en proie à une grande agitation. Malgré lâabsence de vent, la soutane du curé virevoltait dans tous les sens, remarqua Julie en retenant un sourire. Le docteur Talham le suivait de près. Bresse, Lukin et Vincelet discutaient toujours avec les messieurs Boileau et lâarpenteur. On entendait des éclats de voix.
â Ah! Mademoiselle de Rouville, sâécria le curé. Câest la Providence qui vous envoie!
â Pourquoi dites-vous cela, monsieur le curé?
â Parce que vous êtes sur place et que vous avez tout
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