Julie et Salaberry
sont permis.
Lâespace dâun instant, Charles sâimagina être propriétaire dâun bateau porteur de marchandises et de passagers. Son grand-père, Michel de Salaberry, nâavait-il pas été capitaine de navire marchand avant de faire la guerre? Un rêve extravagant quâil chassa vite de son esprit. Il était un offi-cier de lâarmée britannique et son rôle était de défendre le pays.
â On dit que vous avez soumis une demande à la Chambre dâassemblée pour obtenir le monopole du transport sur le fleuve, avança lâofficier en espérant en apprendre un peu plus sur cette question qui avait été chaudement débattue par les députés.
Lui-même jugeait la concurrence comme un excellent stimulant. Mais Molson envisageait les choses autrement.
â Voyez-vous, major, mon désir était de regrouper les forces de ce marché, cependant jâai malheureusement lâimpression que ces messieurs de la Chambre dâassemblée ont une tout autre opinion, soupira Molson qui en avait néanmoins pris son parti.
Monopole ou pas, rien ne lâempêcherait dâen mener large sur le fleuve Saint-Laurent.
â Je songe à faire construire un quai à Montréal. Vous serez dâaccord avec moi quâil est invraisemblable quâune ville située sur une île en soit toujours dépourvu.
Il y avait bien, devant une taverne du faubourg Québec, une misérable jetée, un ouvrage indigne de porter le nom de quai où accostait le bac en provenance de Longueuil. Les rives de lâîle de Montréal nâétant pas aménagées, charger ou décharger les bateaux au moyen de canots sâavérait une tâche hasardeuse. Pourtant, de grands voiliers comme lâ Eweretta , un bateau de haute mer qui appartenait à la Compagnie du Nord-Ouest, se rendaient jusquâà Montréal pour livrer les marchandises de traite après avoir fait escale à Québec.
Monsieur Molson prenait déjà congé.
â Il ne faut pas trop accaparer les jeunes mariés, salua-t-il aimablement.
Charles et Julie lui dirent au revoir avant de partir à la recherche de leur cabine, du côté de la poupe. Sur un mur, un écriteau attira le regard de la jeune femme. Il sâagissait des consignes et des règlements. En résumé, il était interdit de fumer ou de se laver dans les cabines, de cracher sur le sol ou de se mettre au lit avec des souliers. Julie fit une prière intérieure pour que les draps du lit de la cabine soient propres.
Le voyage se déroula sans anicroche, si ce nâest quâà lâembouchure de la rivière Chambly, le vapeur évita de justesse un train de bois. Pour le reste, les Salaberry arrivèrent enfin à Québec où ils étaient attendus par la mère de Charles et ses sÅurs, avec une impatience quâon imaginait facilement.
Au manoir de Beauport, les demoiselles Adélaïde et Amélie sâémerveillaient dâavoir enfin une belle-sÅur. Toute la journée, le joyeux bavardage des trois jeunes femmes qui papotaient faisait oublier la tristesse des habits de deuil et Julie passa rapidement du statut de «très chère belle-sÅur» à celui, plus affectueux, de «chère sÅur».
â Mon ange, tu arrives comme un rayon de soleil dans la vie de ma famille, dit Charles à Julie, lorsquâils se retrouvèrent, le soir, à lâheure du coucher. En quelques heures, tu as fait plus que tous les toniques et les remèdes des médecins.
Sa pauvre mère avait renoncé à dormir. Dès quâelle fermait les paupières, Maurice et François lui apparaissaient avec leur visage dâenfant, gémissant de fièvre, leurs mains tremblantes tendues vers elle, ils lâappelaient et elle ne pouvait venir. Un cauchemar terrifiant, insupportable! Mais depuis lâarrivée de Salaberry et Julie, les habitants du manoir de Beauport constataient que ses nuits sâallongeaient. Au bout de quelques jours, le teint de madame de Salaberry avait repris quelques couleurs et on pouvait croire que le malheur était enfin chose du passé.
Son époux la voyait reprendre goût à la vie avec soulagement. Monsieur de Salaberry devait bientôt partir avec son bataillon. Et comme toujours en de telles circonstances, Catherine sâoccuperait de
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