Julie et Salaberry
sÅurs et moi, plus personne ne semble se rappeler quâil se nomme Charles. Même son père et ses frères lâappellent Salaberryâ¦
à cette évocation, Adélaïde et Amélie tressaillirent. Leur mère allait-elle retomber dans une de ses crises de neurasthénie? Mais si elle avait eu une faiblesse, madame de Salaberry sâétait déjà ressaisie.
â Il est temps de voir ce que nous réserve la cuisinière pour le souper, car nos hommes ne tarderont pas à arriver. Allons, mes filles! dit-elle en incluant Julie. Il faut nous bouger.
Et joignant le geste à la parole, elle se leva avec énergie. Ces dames se dirigèrent vers la cuisine dans un bruissement de tissus soyeux et légers; avec la fin mai, le temps était de plus en plus chaud. Juin approchait et lâété, qui serait inévitablement mouvementé, car la guerre serait déclarée, sâannonçait quand même avec ses promesses de douceurs ensoleillées.
Sur les hauteurs de Québec, au château Saint-Louis qui servait de résidence à Son Excellence le gouverneur, une partie de lâétat-major sâétait réunie. Outre le gouverneur George Prévost, commandant en chef des troupes du Canada, étaient également présents lâadjudant général des milices du Bas-Canada, François Vassal de Monviel, le général Francis de Rottenburg et le major Charles de Salaberry.
â Messieurs, jâattends votre bilan, dit Prévost.
François Vassal de Monviel parla le premier. Câétait un homme qui avait déjà entamé la cinquantaine, un militaire aguerri et consciencieux, à qui il était impossible de reprocher quoi que ce soit.
â Votre Excellence, le 20 mai dernier, jâai ordonné la levée de deux mille hommes pour former les quatre premiers bataillons de la milice dâélite. Dâautres suivront. La conscription sâeffectue par un tirage au sort parmi les célibataires des milices sédentaires, appelées le plus souvent milices de paroisse. Avec les nombreux engagements volontaires, sauf exception, le recrutement des hommes va bon train.
â Oui, en oubliant les déplorables événements de Pointe-Claire et de Lachine, fit remarquer Prévost en faisant allusion à un mécontentement qui avait tourné à lâémeute dans ces paroisses de lâîle de Montréal.
â Mais les esprits échauffés ont fini soit par entendre raison, soit par prendre le chemin de la prison, expliqua Monviel, embarrassé, car certains lâavaient accusé de ne pas avoir bien expliqué la loi.
â Peu importe la nation, une conscription est rarement bien reçue par le peuple, nota avec philosophie le général de Rottenburg.
â Right! dit Salaberry. Mais les Canadiens ont à cÅur de défendre leur pays, comme je vous lâavais prédit.
â Nous devons surtout vous féliciter de lâenthousiasme dont fait montre la population, Excellency , ajouta sans flagornerie Monviel.
Prévost accepta le compliment avec un sourire satisfait. Après le passage du détesté gouverneur Craig et son arrogance hautaine, les députés de la Chambre appréciaient lâintelligence de Prévost. Ce dernier avait su sâattacher lâestime des parlementaires et, par conséquent, la sympathie de la population.
â Je viens de confier à monsieur de Salaberry, père, le commandement du premier bataillon de la milice dâélite, poursuivit Monviel. Il partira sous peu pour Blairfindie. Et le lieutenant-colonel de milice Melchior de Rouville regroupe le deuxième bataillon à Chambly.
â Voilà ma famille fort bien pourvue, dit Salaberry en riant.
Personne ne sâoffusquait de voir les liens familiaux influencer les nominations. Monviel lui-même était apparenté à nombre dâofficiers de la nouvelle milice dâélite.
Salaberry redevint sérieux.
â Jâajoute que malgré leur âge, ces deux gentlemen ont pour eux la force de lâexpérience. Nombre de nouveaux officiers nâont quâune simple expérience dans la milice sédentaire, dans le meilleur des cas.
Il pensait à Viger et à son beau-frère Rouville.
â Et vous, Salaberry, où en êtes-vous? lâinterrogea Prévost. Rottenburg mâa appris que vous avez trouvé
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