Julie et Salaberry
Rappelle-toi que je ne tâai pas mis au monde pour que tu meures bêtement, dit-elle en sâefforçant de dissimuler son émotion.
â Je mâen souviendrai, mère.
Victoire baisa brièvement le front de son fils qui fila à lâétage pour rassembler quelques affaires dans sa besace. Puis elle sâen retourna brasser le contenu du chaudron qui pendait à la crémaillère. Des larmes furtives se mêlèrent au ragout qui mijotait depuis le matin.
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Chapitre 19
Les débuts dâune jeune mariée
Salaberry avait réservé une des rares cabines destinées aux passagers de lâ Accomodation, propriété du brasseur de Montréal John Molson, le seul bateau à vapeur à offrir une liaison fluviale entre Montréal et Québec. Julie nâavait encore jamais voyagé sur cet étrange bâtiment à faible tirant dâeau qui naviguait au moyen de deux grandes roues à aubes et que tous désignaient sous le nom de steamboat .
â Câest formidable! dit Charles qui avait déjà fait plusieurs fois lâaller-retour entre les deux grandes villes du Bas-Canada. Ne tâinquiète pas, le bateau possède aussi des voiles. Nous dormirons à la hauteur de Trois-Rivières et demain, nous serons à Québec. Rends-toi compte du temps gagné par rapport à ce quâil en était autrefois!
Mais naviguer à la voile entre Montréal et Québec, à la merci des courants et des vents contraires, demandait parfois plusieurs jours.
â Tant que tu es avec moi, je ne crains rien, dit Julie en passant son bras sous celui de son mari, soupirant dâaise du seul fait dâêtre à ses côtés.
Julie sâhabituait facilement à la vie commune, au bon-heur de partager le lit de lâauberge de monsieur Vincelet avec Charles, de respirer son odeur musquée quand il lâenlaçait avant de sâendormir. On le disait dur et sévère avec les hommes, impitoyable même, mais avec elle, il se révélait plein dâégards, lâentourant de soins délicats comme si elle était une porcelaine précieuse, et câétait une sen-sation merveilleuse que de se sentir ainsi le centre de lâUnivers. La vie dâépouse dâofficier se révélait grisante, exaltante.
En arrivant à Montréal, peu de jours avant leur départ pour Québec, Julie avait rencontré les Rottenburg que Charles lui avait présentés comme des amis, et elle avait immédiatement succombé au charme de Caroline qui nâavait que trois ans de plus quâelle.
â Ainsi, câest vous qui avez conquis notre cher major, la complimenta lâépouse du général de Rottenburg en lâembrassant avec chaleur.
â Quant à moi, jâaurai plaisir à faire plus ample connaissance, chère madame de Salaberry, puisque je voyagerai avec vous jusquâà Québec, ajouta le général.
Caroline avait tenu à accompagner Julie pour dâindispensables emplettes rue Saint-Paul, et ces dames avaient sympathisé pendant que Julie commandait de la vaisselle et de lâargenterie pour son nouveau foyer, un logement plus spacieux que la petite chambre de célibataire de Charles. Antoine sâoccuperait de meubler le logis pendant leur absence puisque les Salaberry résideraient principalement à Montréal, avec de longs séjours à Chambly où étaient cantonnés les Voltigeurs et dâautres régiments placés également sous le commandement du major de Salaberry.
Tout à sa découverte de sa vie de femme mariée, la guerre nâétait encore quâune vague menace pour Julie, même si le nombre de soldats et de miliciens circulant dans les rues de Montréal augmentait un peu plus chaque jour.
Aujourdâhui, la jeune madame de Salaberry découvrait une autre passion de son mari: il était fasciné par les nouveaux bateaux à vapeur.
Ils venaient à peine dâembarquer sur lâ Accomodation que Charles désigna un homme qui sâapprêtait à monter à bord.
â Ma parole, Julie, voici monsieur Molson!
Venu faire une inspection de son bateau, John Molson reconnut à son tour le commandant des Voltigeurs canadiens et sâempressa de se diriger vers eux pour les saluer.
â Major! Bienvenue à bord.
Le regard clair de John Molson illuminait un
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