Julie et Salaberry
gérer la seigneurie en son absence.
Il était environ quatre heures de lâaprès-midi et les jeunes dames, au retour dâune promenade dans Beauport, se détendaient autour dâune collation. Charles était à Québec pour une réunion avec lâétat-major et Louis était allé prendre ses instructions auprès de monsieur Vassal de Monviel, lâadjudant des milices. Le père et le fils devaient être à la veille de rentrer.
â Ainsi, demanda Amélie à Julie, vous nâétiez pas venue à Québec depuis votre enfance?
â Maintenant que je revois votre belle maison, les souvenirs me reviennent, répondit Julie en posant sa tasse sur une table basse. Par contre, jâavais oublié Québec, toute cette agitation au port et dans la Basse-Ville! Pour moi qui suis habituée à la vie tranquille de Chambly, je dois dire que je suis tombée sous le charme de ces rues grouillantes et animées. Et les dizaines de bateaux ancrés face au port et partout sur le fleuve! On dirait un spectacle à grand déploiement! Je suis émerveillée.
â Il faut dire quâà cette période de lâannée, il entre des bateaux chaque jour, précisa Adélaïde. Et depuis le blocus et avec lâapproche de la guerre, ils ne se déplacent plus quâen convoi, de crainte dâune attaque.
Allongée sur son divan habituel, au milieu de nombreux coussins, Catherine de Salaberry tendit la main à Julie.
â Votre mariage me comble de joie. Charles a eu raison de vous épouser et de me donner une nouvelle fille. Approchez, ma chère enfant, et donnez-moi des nou-velles de la santé de mon cher cousin. Comment va votre père?
La belle dame lui fit une place auprès dâelle sur son divan et Julie respira une subtile odeur de violettes.
â Il va bien, mère , dit-elle, appuyant sur ce mot pour que brillent encore les yeux de Catherine, surtout depuis quâil a repris du service. Je crois quâil a rajeuni dâun seul coup. Il en a oublié ses rhumatismes et se comporte comme sâil avait encore vingt ans!
â Cher Melchior! Il a toujours été un homme courageux. Je me rappelle, lorsque nous étions jeunes, pendant cette autre guerre avec les Bostonnais, mon cousin nâétait pas aussitôt revenu de son long emprisonnement dâAlbany quâil avait empoché une commission de capitaine. Son lieutenant était votre père, mes filles, mon fiancé. Et les voilà tous deux repartis guerroyer au siège de fort Stanwix, dans la vallée de la rivière Mohawk, dans lâÃtat de New York. Ces deux bandits, ajouta-t-elle en riant, ils mâen ont fait voir de toutes les couleurs.
Son rire sonnait faux, lui rappelant que toute sa vie, elle avait tremblé en attendant le retour dâêtres chers. Julie ne perçut pas la nuance dans la voix de sa belle-mère. Elle se trouvait si bien dans ce vieux manoir aux planchers craquants dont les habitants déployaient entre eux des trésors dâaffection. Et Catherine, qui lui offrait tout naturellement sa tendresse maternelleâ¦
â Comme tout change, soupira madame de Salaberry avec une voix lointaine, perdue dans ses souvenirs. Et à Québec, lâ Ewretta nâétait pas encore au port, disiez-vous?
à Beauport, dâoù elle voyait passer sur le fleuve les bateaux arrivant de la lointaine Angleterre, chargés de voyageurs et dâimpressionnantes cargaisons, Catherine savait que lâ Ewretta lui apporterait des nouvelles dâÃdouard. Câétait le bateau le plus attendu de tous, avec tout le courrier et la London Gazette , journal officiel qui donnait les derniers faits du gouvernement et toute lâinformation concernant lâarmée. Car lâAngleterre était en guerre depuis des années et les affaires militaires faisaient partie de la vie quotidienne des Britanniques.
â Câest Charles lui-même qui me lâa fait remarquer, poursuivit Julie, car je ne prête guère attention aux noms des bateaux, comme le font les gens de Québec. à Chambly, nous lisons ces noms dans les gazettes, lorsquâon annonce leur arrivée, et je crois que nous les oublions aussitôt, ajouta-t-elle en riant.
â Jâaime bien que vous appeliez mon fils par son prénom, dit Catherine de sa voix douce. à part ses
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