Julie et Salaberry
tiré, grâce au colonel de Rouville qui avait fait changer Boileau dâavis: la Fabrique ne dépenserait pas un sou pour lâouvrage. Vincelet aussi avait viré son capot de bord: madame Boileau avait réussi à le convaincre quâil faisait fausse route. Restait le marchand Lukin qui était en froid avec tout le monde.
Il attrapa le petit chapeau rond et informe qui lui servait de couvre-chef, prit sa canne et partit sur le chemin du Roi rejoindre son voisin de la maison rouge.
Après avoir assisté à la messe dite par le curé Bédard et spécialement destinée aux Voltigeurs, Godefroi Lareau et Louis Charland regagnèrent leur tente sur la banlieue du fort. Engagés le même jour, les jeunes gens avaient immédiatement sympathisé.
â Ces damnés uniformes! soupira Charland en examinant lâaccroc fait à son pantalon. Une séance dâexercice et le voilà de nouveau bon à être ravaudé. Le tissu ne vaut rien.
â Ouais! dit Godefroi, tout aussi découragé, en regardant sa tunique mal cousue. Jâai entendu le capitaine de Rouville, pas plus tard quâhier, dire au sergent Peltier que le major harcèle lâintendance.
â Les promesses du major⦠ronchonna Louis. On manque de bois, de paille pour nos couches et de viande.
â Mais il paraît quâil se démène. Il nâaime pas voir ses hommes en pantalon bleu plutôt que lâuniforme gris prévu et fabriqué avec du tissu de qualité. Pour les provisions, ma famille y pourvoit, dit Godefroi avec philosophie. Encore hier, mon neveu Melchior a apporté un panier bien garni de la part de ma sÅur, la femme du docteur.
â Heureusement, oui! grogna Louis.
Les deux voltigeurs partageaient tout.
â Sans compter quâon sait dâoù ça vient, ajouta Godefroi avec un sous-entendu dans la voix.
à lâintérieur du camp sâétait installé un trafic clandestin de porc salé, de la viande provenant des Ãtats-Unis en contrebande.
â Jâespère que tout va sâarranger, dit Louis, lâair effarouché. Parce que jâpeux dire, Lareau, que les combines pas catholiques, moi, jâaime pas ben ça.
Charland faisait allusion à la mutinerie qui avait éclaté pendant lâabsence du major de Salaberry. Les coupables avaient été arrêtés pour la plupart et envoyés à Montréal pour être jugés en cour martiale. En général, on évitait de tenir les procès sur les lieux mêmes des délits.
â Des têtes brûlées, approuva Godefroi. Mais il y a de la faute du capitaine Perrault qui a été négligent en tout: pas de pain, pas de foin et pas dâargent pour ses hommesâ¦
â Et que dire de ces souliers qui ne valent pas tripette, ajouta Louis en montrant sa semelle usée.
Le jeune homme déchantait un peu plus chaque jour, sa vie de voltigeur étant loin de ce quâil avait imaginé. Godefroi haussa les épaules et sâemploya à ranimer leur feu lorsque deux sergents de la milice dâélite surgirent dâentre les tentes et sâemparèrent dâun homme appartenant au premier bataillon. Augustin Boucher protestait violemment de son arrestation.
â Bande de pendards, lâchez-moi! Palsambleu! Jâai rien fait! gueula le géant.
Et dans un cri semblable à un hennissement, il se dégagea de lâemprise des sergents et se planta sur ses pieds en agitant ses poings devant lui.
â Que se passe-t-il ici? tonna une voix forte.
Câétait Salaberry, flanqué du capitaine de Rouville. Louis et Godefroi écarquillèrent les yeux pour ne rien manquer de la suite.
â Capitaine de Rouville, quâa fait cet homme? demanda le major en toisant sévèrement son beau-frère.
â Câest un des meneurs de la mutinerie, major, sâempressa de répondre Ovide. On le cherchait.
Il voulait rentrer dans les faveurs de Salaberry qui nâavait pas du tout aimé apprendre, à son retour à Chambly, que des hommes de sa compagnie avaient participé à la mutinerie. Furieux, il avait aussi appris que Rouville nâavait pas versé la totalité des quatre livres dues à ses recrues, dâoù leur révolte. Le major devait établir son autorité.
â Tu nâarranges pas ton cas, dit Salaberry en toisant la
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